Paris, 1199
ravisseur, ses flèches ayant, par trois fois,
rebondi sur l’impénétrable cotte de mailles du chevalier normand.
Robert de Locksley n’avait jamais revu Maurice de
Bracy. Il savait seulement qu’il avait été désavoué par le prince Jean et qu’il
était désormais en France où il avait prêté allégeance à Philippe Auguste.
Quant à Albert de Malvoisin, Robert de Locksley avait
surtout connu son frère Philippe, l’un des meilleurs amis du prince Jean,
arrêté sur ordre du roi Richard, puis exécuté pour haute trahison. Albert, son
complice, aurait aussi dû perdre sa tête, mais, parce qu’il était Templier, il
avait été gracié et exilé d’Angleterre.
Que faisaient Bracy et Malvoisin ensemble à
Limoges ?
Intrigué, Locksley les suivit à bonne distance. Il
les vit pénétrer dans une grande auberge, sans doute pour souper. Il entra
derrière eux, s’efforçant de rester dans l’ombre, ce qui n’était pas difficile
tant la salle était obscure et enfumée par sa cheminée. Les voyant s’attabler,
il s’installa sur un banc proche en leur tournant le dos.
La salle était bruyante, néanmoins, en tendant
l’oreille, Locksley put entendre quelques bribes de la conversation des trois
hommes. Ils venaient d’apprendre la mort de Richard Cœur de Lion et avaient
décidé de rentrer à Paris. Malvoisin précisa qu’il bénissait le carreau qui
avait tué le roi d’Angleterre et l’autre Templier ajouta que le Seigneur avait
exaucé ses prières.
Que voulaient-ils dire par là ? Leur présence
à Limoges, si près de Châlus, était-elle un hasard ? Étaient-ils complices
du chirurgien ? Il ne pourrait les suivre jusqu’à Paris sans se faire
remarquer, mais il se dit qu’il parviendrait bien à les retrouver là-bas.
Il partit le lendemain dans la direction
d’Orléans, s’étant fait expliquer le chemin par son aubergiste. Il n’avançait
pas très vite, surveillant sans cesse ses arrières et demandant dans chaque
village et chaque ferme si on avait vu les deux hommes qu’il cherchait. Il
dormit deux nuits dehors, préférant ne pas courir le risque de se retrouver
pris au piège si Mercadier le poursuivait.
Il entra dans Argenton un dimanche en fin de
matinée ; c’était le troisième jour depuis son départ de Limoges. Le
village, construit au bord d’une rivière, avait été pris par Philippe Auguste
quelques années plus tôt, lui avait raconté un laboureur en chemin. Depuis, le
roi de France avait imposé un de ses vassaux dans le château.
Le soleil était resté dans la brume. Il faisait
froid et humide, et Locksley avait envie d’un repas chaud, même s’il
n’envisageait pas de passer la nuit dans le village.
Il franchit le pont de bois construit sur des
pieux plantés dans la rivière et bordé de maisons au-dessous desquelles
tournaient inlassablement des moulins. Le plancher de la dernière arche se
relevait à l’aide de grosses chaînes suspendues à deux tours. Ce passage était
surveillé par quelques gardes débonnaires coiffés de salade et porteurs de piques.
La messe était terminée. Sur le parvis de l’église
au porche voûté, des hommes dirigés par un religieux et des gens d’armes
rassemblaient des fagots autour d’un poteau fiché dans le sol. On préparait un
bûcher. Il y avait une auberge, à quelques pas, avec pour enseigne un diable
assis sur un tonneau. Locksley laissa son cheval à l’écurie proche, qui servait
aussi de forge, prit ses armes, son sac et sa couverture et entra dans la
salle.
C’était une pièce basse, au sol couvert de paille
souillée. Dans une cheminée, devant laquelle sommeillaient deux gros molosses,
chauffait une soupe dans une marmite de fer. Il n’y avait qu’une table de
planches, entièrement occupée, mais les gens se serrèrent sur un banc pour lui
laisser une place.
On lui servit une épaisse soupe sur du pain. Ce ne
fut qu’une fois rassasié qu’il interrogea son voisin, tandis que l’aubergiste
apportait un autre cruchon de vin à partager avec lui.
— Le bûcher ? C’est pour un hérétique
qui a refusé de s’agenouiller devant les reliques de saint Benoît, répondit
l’homme qui portait un sayon de bure à capuche.
Il cracha par terre avant de se signer et
d’ajouter en s’adressant à l’aubergiste :
— Pas vrai, Bertrand ?
Le cabaretier, homme rondouillard à la lippe
épaisse et aux sourcils touffus, cala ses mains sur ses hanches avant
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