Paris, 1199
de
commencer :
— Pour la Saint-Benoît [11] (il se signa) le prieuré [12] sort le morceau
d’ongle de l’index du saint, acheté à un pèlerin revenant de Rome. La relique
circule dans le pays pendant une semaine et elle a été montrée ici aujourd’hui.
Tout le monde doit s’agenouiller sur son passage, même notre seigneur. Pensez
donc : saint Benoît ! Pourtant, ce matin, un des voyageurs qui
logeait ici et qui était dehors quand est passée la procession a refusé de
vénérer l’ongle. En plus, cet impie n’était même pas allé à la messe !
Notre prêtre l’a fait saisir par les gens du seigneur et l’a interrogé devant
l’église. Le mécréant a osé affirmer que nous étions des idolâtres et qu’il
aimait trop saint Benoît pour croire à la divinité de son ongle. Il a même dit
que c’était nous qui étions hérétiques, car Jésus n’avait jamais demandé de
vénérer les rognures (l’aubergiste se signa à nouveau). Comme le seigneur n’est
pas là en ce moment, l’intendant du château a confirmé le châtiment décidé par
notre prêtre. L’hérétique va être brûlé.
— Vous perdez un client, remarqua Robert de
Locksley, avec philosophie.
— Rassurez-vous, il m’avait payé. De plus,
quand on l’a arrêté, il a laissé son manteau et son bonnet violet (il désigna
les vêtements pendus à un clou). J’ai aussi son sac dans la chambre, mais je
l’ai fouillé et il n’y avait rien dedans qui ait de la valeur.
À la mention du bonnet violet, Robert de Locksley
s’était figé. Il lança un regard dans la direction indiquée. Le bonnet semblait
bien être le même que celui de l’homme qui lui avait servi le bouillon.
— Quel genre d’homme était cet hérétique qui
se moque de la sainteté de Benoît ?
— Jeune, une vingtaine d’années. Personne ne
le connaissait. Il est arrivé hier soir venant de Limoges, m’a-t-il dit.
— Vous le vendriez ce bonnet ? J’ai
besoin d’une autre coiffe.
— Sûr, vous voulez que je vous
l’apporte ?
— Inutile, j’y vais.
Maîtrisant son excitation, Locksley se leva pour
examiner la coiffe et la houppelande. Il n’y avait pas de doute. C’était le
chapeau de son voleur !
— Quand va-t-on le brûler ?
— Dans une heure ou deux, il est au château
en ce moment. Vous passez la nuit ici ?
— Puisqu’il y a une place de libre, pourquoi
pas ? fit Locksley.
— Finissez de manger, je vais vous montrer la
chambre. On dort à six dans le lit mais vous ne serez que trois. Les autres
sont des moines de saint Benoît qui prient en ce moment à l’église.
Robert de Locksley termina rapidement la soupe
tant il avait hâte d’aller voir la chambre. Si cet homme était son voleur, la
statuette était quelque part. L’avait-il cachée avant d’entrer dans Argenton,
ou était-elle encore dans la chambre ?
Ayant fini, il laissa le vin à son voisin, tout
content de l’aubaine, paya le dîner et la chambre et monta par une échelle à la
suite de l’aubergiste qui portait ses affaires. La pièce occupait tout l’étage
avec un lit à rideaux de deux toises de large. Son hôte l’ayant laissé,
Locksley entreprit de tout fouiller. Outre le lit, il n’y avait que deux gros
coffres et des escabelles [13] .
La grande couchette avait deux matelas de crin.
À peine souleva-t-il le premier qu’il vit le sac.
Sans même l’ouvrir, il fut certain que la statuette d’or y était encore.
Satisfait, il s’assit sur le matelas pour réfléchir à ce qu’il devait faire.
Son voleur allait être puni et il aurait dû être
satisfait. Pourtant, il se sentait mal à l’aise. Cinq ans plus tôt, il n’aurait
jamais abandonné un voleur de sa bande à la justice. Il s’efforça de chasser
cette idée absurde. Cet homme n’était pas à lui. Au contraire, non seulement il
l’avait volé, mais il aurait pu être la cause de son supplice !
Tout de même, un voleur ne méritait pas de mourir
brûlé vif. Une mort atroce, uniquement pour ne pas s’être incliné devant une
rognure d’ongle vendue par quelque fripouille à des moines trop crédules. Et
puis, Locksley avait envie de connaître celui qui avait eu l’audace de
s’introduire dans le camp de Mercadier pour voler le roi d’Angleterre. Cela
témoignait d’une incroyable témérité. Après tout, ne disait-on pas en Angleterre : le diable rit quand un voleur en vole un autre !
Ayant pris sa décision, il se leva du lit,
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