Paris, 1199
la tête.
— Tu penses pouvoir me voler une deuxième
fois ?
— Non, seigneur. Simplement, vous m’avez
sauvé la vie et je suis à vous tant que je n’aurai pas payé cette dette. Si
vous allez à Paris, je pourrais rester à votre service.
— Tu connais vraiment la route ?
— Je l’ai prise en venant à Châlus.
En parlant, ils étaient remontés en selle.
— Où pouvons-nous dormir ?
— En nous pressant nous pouvons arriver à
Château Raoul [14] à la tombée de la nuit.
— On nous laissera entrer ?
— Je le pense, je m’y suis arrêté en venant
de Paris.
Ils mirent les montures au trot.
Pendant qu’ils chevauchaient côte à côte, le
garçon fit des confidences. Il s’appelait Amaury Le Trébuchet et son père
était tisserand à Paris, dans le quartier du Monceau-Saint-Gervais. Il avait
fait une bêtise, plus jeune, ayant tenté de tromper les gardes du métier de la
draperie en leur faisant croire que du drap avec un nombre insuffisant de fils
de chaîne était un lainage de qualité. Il avait été exposé au pilori pour cette
fraude et son père l’avait chassé. Depuis, il vivait de rapines, étant assez
adroit pour tromper les gens.
Il raconta cela sans fausse honte, avec une
surprenante franchise.
— Je cherchais depuis longtemps une occasion
de m’enrichir et de ne plus vivre de petits larcins, seigneur. Or, il y a un
mois, j’appris qu’on avait découvert un trésor à Châlus. Je décidai donc de me
l’approprier. Après toutes sortes d’aventures, et après avoir perdu un cheval
que j’avais volé, j’arrivai à Châlus. Je n’avais aucun plan, ignorant tout du
trésor et de celui qui le possédait.
Robert de Locksley sourit devant l’audace insensée
du garçon.
— Le château avait été pris par Mercadier.
C’était un avantage pour ce que je voulais faire, car le désordre régnait. Je
m’introduisis dans le camp, cherchant à me faire engager comme soldat, mais je
fus attrapé par un nommé Robert l’Apôtre qui me conduisit à son capitaine.
— Le Mulet ?
— Je vois que vous le connaissez !
J’étais persuadé que ma fin était proche, puisqu’ils voulaient me pendre. Mais
je parvins à les convaincre que je leur serai plus utile vivant que mort. Ils
m’envoyèrent travailler à la muraille alors qu’arrivait la mère de Richard Cœur
de Lion. À la fin de la journée, comme j’allais souper avec mes compagnons, un
sergent m’apprit que le roi vous avait confié la statuette d’or. Je ne pouvais
laisser échapper cette chance. J’avais des feuilles de pavot cousues dans ma
cotte, car j’en avais déjà utilisé pour endormir les gens. J’allai aux cuisines
en expliquant que j’étais votre domestique. J’y fis chauffer les feuilles dans
une petite marmite qu’on me donna, puis je demandai du bouillon que je vous
portai comme je vous l’avais proposé.
— On ne t’a jamais interrogé ? Pourtant
on ne te connaissait pas !
— Je vous l’ai dit, seigneur, j’ai le talent
de convaincre les sots. Je ne sais pas pourquoi, la plupart des gens croient
tout ce que je raconte ! Je serais capable de faire avaler la mer et les
poissons à un crédule.
De nouveau, Locksley ne put se retenir de sourire.
Amaury était un voleur comme il les aimait.
— Parfois, ton prétendu talent est pourtant
impuissant, mon garçon, dit-il. Les juges d’Argenton ne t’ont guère écouté.
— C’était différent, je n’étais pas moi-même,
répliqua énigmatiquement le jeune homme.
— Donc j’ai bu ce bouillon, et ensuite ?
demanda Locksley.
— Vous vous êtes endormi et je suis revenu.
J’ai vidé sur vous un flacon de vin pour cacher l’effet de la drogue, puis j’ai
pris le sac attaché à votre poignet après avoir vérifié qu’il contenait la
statue. Ensuite j’ai demandé un cheval à l’écurie en inventant une histoire à
dormir debout. On m’a laissé passer au corps de garde quand j’ai annoncé que
j’étais un messager pour Mercadier. J’étais plein d’allégresse, enfin
riche !
— Sauf que tu ne t’es pas agenouillé devant
la procession, et sans moi tu brûlerais à présent.
— Mon père m’a appris à ne pas adorer les
idoles, c’est la seule chose que j’ai retenue de son éducation. C’était une
erreur, je le reconnais, mais je ne la regrette pas et je n’ai pas demandé
pardon au prêtre. Je hais l’idolâtrie.
Robert de Locksley songea que son compagnon
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