Paris, 1199
mercenaire avait été le seul à avoir blessé Richard Cœur de Lion. Il
l’avait atteint à l’épaule, d’un trait d’arbalète, lors du siège du château de
Gaillon. C’est pour récompenser cet exploit que Philippe l’avait fait seigneur
de Gaillon. Cadoc visait désormais à être nommé bailli de Normandie, ce qui
serait plus difficile, car il était toujours considéré comme un fripon par
l’entourage royal, même si la plupart des barons se comportaient comme lui.
Philippe Hamelin et Amiel de Châteauneuf entrèrent
dans le Palais par la porte fortifiée de la rue de la Barillerie, en face de la
rue de la Vieille Draperie, à quelques pas de l’abbaye Saint-Éloy. C’était la
seule ouverture dans la haute muraille carolingienne.
Ils laissèrent leur monture dans l’écurie de la
cour et, par les grands degrés, gagnèrent la salle du roi, immense chambre de
justice ogivale, le long de la Seine, où Philippe Auguste réunissait ses
vassaux. La traversant, ils sortirent par le Grand préau, un petit cloître à
l’ouest bordé au nord par la tour Bombée et à l’est par la salle au
Bord-de-l’Eau où logeaient et travaillaient les clercs au service de frère
Guérin.
Avec la tour du Trésor, cette salle était
certainement l’un des endroits les mieux protégés du royaume. C’est là que
frère Guérin faisait préparer les actes royaux et les jugements destinés aux
baillis et aux prévôts. C’est là aussi qu’il faisait copier les chartes les
plus précieuses et les plus anciennes du royaume, certaines remontant à Clovis.
Chaque fois qu’il y pénétrait, Philippe Hamelin
était frappé par le silence. Sauf au milieu de la nuit, Paris ne connaissait que
le vacarme. Avant même le lever du soleil, c’était le tintamarre des cloches
qui se poursuivait à chaque heure canonique ou à l’occasion de toutes sortes de
cérémonie. C’était aussi les bruits des charrois et des charrettes, dont les
roues grinçaient perpétuellement, les braiements, les hennissements, les
bêlements, les couinements et les mugissements des animaux. C’était enfin les
cris et les chansons des colporteurs, des crieurs de vin, des jongleurs et le
tumulte des querelles. Même la nuit venue, le silence ne se faisait pas, car
retentissaient les hurlements de ceux qu’on agressait ou les prières du crieur
des trépassés.
La salle au Bord-de-l’Eau était un vaste
scriptorium à trois travées ogivales éclairée par de hautes fenêtres aux verres
dépolis sertis dans du plomb. L’allée centrale était réservée aux passages et
les allées latérales étaient aménagées en petites cellules aux cloisons de bois
sculptées comprenant une table ou un pupitre, un lutrin et une armoire à
plusieurs vantaux souvent décorée d’arcatures et de colonnettes. Dans chaque
cellule, un clerc en robe grise, copiste, correcteur ou miniaturiste,
travaillait en silence et on n’entendait que le crissement des plumes. Rien
n’aurait pu les distraire. Penchés sur des parchemins étalés et calés par des
pointes sur le lutrin, parfois installés sur des cathèdres à pupitre, ils
écrivaient avec un roseau effilé, ou une plume, sur un parchemin, ou plus
rarement sur une feuille de papier.
Sur les tables et les pupitres s’étalaient plumes,
canifs, mines de plomb, pinceaux en poils de martre et règles de bois. La
plupart des clercs travaillaient avec un grattoir dans la main gauche de
manière à pouvoir corriger la moindre erreur sur la peau. Des encriers de corne
étaient suspendus sur les côtés des pupitres, certains emplis d’encres rouges
ou violettes, d’autres noires ou brunes, d’autres encore vertes fabriquées avec
des sels de cuivre.
Les deux hommes remontèrent l’allée centrale
jusqu’à son extrémité. Là, une volée de marches permettait d’accéder à une
pièce plus petite où travaillait frère Guérin. Une porte à doubles battants,
ouverte, lui permettait de surveiller les clercs. Quand ils entrèrent, le
chancelier était assis sur une haute cathèdre aux bras et dossier richement
ornés. Il consultait un rouleau de parchemin, tandis qu’un homme trapu, en
haubert et tête nue révélant un crâne sans cheveux, regardait par la fenêtre
les barques qui naviguaient sur la Seine, à moins qu’il ne s’intéressât au
donjon du Louvre que l’on apercevait plus loin. Il se retourna en les entendant
entrer.
C’était Cadoc. Il n’avait pas changé depuis la
dernière
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