Paris, 1199
immédiatement après le souper. À
cette fatigue s’étaient ajoutées les embûches du voyage.
Avec des chevaux de remplacement, ils pouvaient
soutenir une cadence rapide sur de bons chemins, mais ils ne pouvaient rien
contre les rivières trop hautes pour passer à gué ni contre les bandes de
pillards ou de routiers qui guettaient les voyageurs pour les dépouiller. Même
pénétrer dans les villes était difficile, car on se méfiait d’une troupe armée.
Heureusement, ils disposaient d’un parchemin d’Aliénor demandant à tous les
seigneurs du duché d’Aquitaine de les recevoir et de leur céder de la
nourriture. Raymond leur avait aussi donné un laissez-passer identique pour
traverser le comté et les territoires de ces vassaux.
Pourtant, sans Guilhem, ils ne seraient sans doute
jamais arrivés jusqu’à la Loire. L’escorte d’Aliénor était commandée par un
preux chevalier du nom de Gautier le Normand. Dame Aliénor l’avait pourvu d’une
somme suffisante pour les péages des ponts et des bacs, ou pour les rançons que
les bandes de Cottereaux ne manqueraient pas d’exiger en chemin. Gautier le
Normand avait toujours été au service des Plantagenêt, mais s’il était
courageux et dévoué, il était mauvais négociateur. Sur la route de Toulouse,
chaque fois qu’il avait rencontré des bandes d’aventuriers ou de vagabonds, il
les avait payés pour pouvoir passer sans livrer bataille, refusant de risquer
la vie d’Anna Maria. Ainsi, presque tout ce qu’avait donné Aliénor avait été dépensé.
Or, Guilhem n’envisageait pas de distribuer à des gueux et des ribauds l’argent
qu’il avait emporté.
Il connaissait bien les campagnes qu’ils
traversaient. Il parlait les dialectes de ses habitants et nul mieux que lui ne
savait trouver un chemin sûr ou une barque lorsqu’il n’y avait ni gué ni pont.
Plusieurs fois, ils avaient croisé des troupes de
Navarrais ou de Brabançons. Des hommes se disant chevaliers, portant casques et
gonfanons surmontés de figures d’animaux, mais en vérité des pillards cherchant
seulement des femmes et du butin. Ceux-là, Guilhem les bravait. Il proposait à
leur chef un combat singulier, sachant combien ils étaient sensibles à
l’honneur. Effectivement, ces ribauds ne s’étaient jamais dérobés et, chaque
fois, Guilhem les avait vaincus. Lors de leur dernière rencontre, il était même
tombé sur d’anciens compagnons qui, reconnaissant un ami, avaient proposé de
les escorter, repoussant à plus tard le pillage d’un village qu’ils voulaient
ravager.
Les plus redoutables dangers venaient cependant
des profondes forêts du Périgord et du Limousin. Là, dans d’obscures vallées,
ils chevauchaient à la merci d’embuscades conduites par des hommes des bois,
paysans qui avaient tout perdu désireux uniquement de faire le mal. C’étaient
des hommes et des femmes vivant demi-nus, habitués à souffrir du froid et de la
pluie, ne reculant devant aucune fatigue. Ces sauvages les attaquèrent
plusieurs fois, poussant des cris terribles, n’ayant comme armes que des
épieux, des massues, des javelots et des frondes.
Heureusement ces gueux combattaient à pied alors
qu’ils étaient à cheval, couverts de haubert et protégés par des casques, aussi
les avaient-ils vaincus à chaque affrontement.
Hors des forêts, ils suivaient souvent des chemins
bordés de chênes couverts de pendus, tels de sinistres fruits. Ils découvraient
aussi des villages ravagés et brûlés par des pillards. Les ribauds y étaient
entrés dans la nuit en hurlant leurs terribles cris de guerre : « Du
sang, on veut du sang ! Égorgez tout le monde sans épargner
personne ! » Ils avaient écorché les hommes, violé les femmes et
embroché les enfants avec leurs lances pour les abandonner au milieu des ruines
et des cendres. Guilhem et sa troupe avaient ainsi rencontré plusieurs fois des
bandes de malheureux errant dans les campagnes, mourant de faim, exposés à la
fureur des hommes et des bêtes sauvages.
Les villes étaient mieux protégées avec leurs
enceintes et leurs tours. Partout s’étaient créées des milices comme les Confrères
de la Paix de Marie qui interdisaient l’entrée aux étrangers. En
s’approchant de la Touraine, Guilhem et l’escorte d’Aliénor avaient été de plus
en plus souvent refoulés, n’obtenant même pas de la paille et du gruau.
La mort de Richard avait embrasé le pays,
avaient-ils appris. Arthur,
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