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Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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l’invitait à le venir voir jouer à
la paume aux Cinq Pucelles, à quoi l’Amiral acquiesça par civilité pure
et « pour quelques moments », tenant en son for, à n’en pas douter,
pour excessivement frivoles tous les jeux, bals, soupers, fêtes et pantomimes
qui s’étaient succédé à la Cour depuis le mariage de la Princesse Margot.
    Pour moi qui
ne l’avais jamais vu d’aussi près – le Roi des huguenots n’étant pas moins
difficile d’accès que le Roi de France, encore que sans pompe aucune et quasi
sans escorte –, je l’observai tout ce temps fort curieusement, et lui
trouvai l’air grave et je ne sais quoi d’imployable dans le regard de ses yeux
clairs qui ne laissa pas de m’en imposer ; le cheveu qu’on voyait sous la
toque de velours violet bien plutôt blanc que brun, la face ridée assez, mais
cependant un corps robuste qu’il devait à la frugalité de ses repues et à
l’austérité de ses mœurs. Il était garni d’un pourpoint de velours noir,
portant autour du col, pendu à un ruban noir, et sous sa petite fraise
huguenote, l’ordre de Saint-Michel dont il ne se désemparait jamais ; des
chausses bouffantes à l’ancienne mode, de même étoffe et couleur, des bas
d’attache de soie noire, et des mules qui lui devaient sortir du pied, car je
le vis au moins deux fois, tandis qu’il cheminait, reculer le corps et taper du
talon devant lui pour les remettre en place : détail que je notais alors
quasi en me gaussant – tant il était mal accordé à la dignité de ce grand
personnage – mais qui fut, tout infime qu’il parût être, d’une infinie
conséquence dans l’impiteux enchaînement des causes qui nous poussèrent vers
tant de sang.
    Apercevant
parmi les gentilshommes protestants qui accompagnaient Coligny M. Geoffroy de
Caumont, seigneur des Milandes et de Castelnau, lequel était mon cousin, ma
mère étant née Caumont, je le fus saluer. Sur quoi, fort aise de m’envisager
(et d’autant que nous avions failli à nous voir depuis que j’étais en Paris,
pour ce qu’il s’était logé hors murs dans le faubourg Saint-Germain), il me
donna une forte brassée et me présenta à la ronde à ceux de sa compagnie, à
savoir à Téligny que jà je connaissais, l’ayant vu à la paume ; au comte
de Montgomery, grison fort grand et fort roide qui ne devait point se sentir
fort à l’aise en la Cour, n’ayant jamais l’aumône d’un mot ou d’un regard de la
Reine-mère et du roi, ceux-ci lui gardant une fort mauvaise dent de ce que sa
lance infortunée, en le tournoi que l’on sait, eût causé la mort
d’Henri II ; à M. de Ferrières, vidame de Chartres, assurément le
plus sage et le plus avisé des seigneurs protestants, comme la suite le
montra ; à M. de Guerchy, fort beau gentilhomme, mais fort haut à la main,
que le conseil de ce jour venait d’accommoder au papiste de Thiange avec qui il
avait pris querelle ; à M. de Briquemaut qui avait alors soixante-dix ans
et dont bien je me ramentois qu’il avait, quatorze ans plus tôt, secrètement
épié sous un déguisement les défenses de Calais, alors en mains
anglaises ; au comte de La Rochefoucauld qu’il n’était que de voir pour
aimer, (comme on dit que faisait le roi) et qui me parut, en sa verte jeunesse,
tout souris, grâces et gaîté ; et enfin à M. de la Force, lequel était
allié aux Caumont aussi, et que je vis flanqué de ses deux grands fils dont le
plus jeune, Jacques, avait alors quatorze ans et fort me frappa par l’éclat de
son regard et l’émerveillable ampleur de son front. Hélas ! De tous ces
beaux et valeureux seigneurs qui paraissaient si assurés d’eux-mêmes, combien
vivaient alors à leur insu, sous le clair soleil d’août, l’avant-dernier jour
de leur vie !
    À leur suite,
et à celle du Roi et de Coligny, toujours devisant en l’affectionnée manière
que j’ai dite, j’entrais aux Cinq Pucelles quand on me toqua à l’épaule.
Je me retournai :
    — Mi
fili, dit Fogacer à voix basse, je viens prendre de vous mon congé, bien
marri de me priver de la lumière de votre belle face. Je suis sur mon
département.
    — Et pour
où ? dis-je, béant.
    — Où ?
Je ne sais, dit Fogacer à voix étouffée et arquant son sourcil diabolique,
combien que j’aie dit au Duc que j’allais visiter en Languedoc mon ægrotante,
mère, laquelle, à dire le vrai, mourut en mes enfances. J’irai comme la feuille
au

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