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Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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place de
Grève à la partie de la rive de Seine qu’on nomme le Port-au-Foin (en raison
d’un méchant quai où accostent les bateaux qui amènent leur provende aux cent
mille chevaux de la capitale) la pente est quasi insensible mais le sol gluant,
le pavé y laissant place à la terre, laquelle était maculée de sang tant on y
tirait de gens par les cordes, ce trimardement étant tenu par les
assassinateurs à grand déshonneur pour les pauvres morts, pour ce que l'us en
Paris est de traîner le supplicié sur une claie de la prison au bûcher –
l’eau ici remplaçant le feu – et à grand opprobre aussi, ces malheureux
étant noyés comme on noie les chiots. Et comme d’aucuns des nôtres qui
n’étaient que navrés, ou qu’on avait jetés à l’eau sans même les daguer et les
dévêtir, tant on était précipiteux en la besogne, nageaient ou gémissaient en
appelant à l’aide, d’aucuns de ces impiteux, désenchaînant les bateaux qui
étaient à quai, se laissaient aller au courant et s’ébaudissaient à assommer à
coups d’aviron tout ce qui bougeait encore.
    Il n’était
point aisé d’approcher du quai au Foin tant la presse était grande d’hommes et
de garces, lesquelles, je le dis à vergogne, huchaient et huaient comme furies
en Enfer. Tous les sens glacés, encore que la sueur nous coulât par tout le
corps, la touffeur de cette nuit d’août étant insufférable, nous n’avions guère
appétit, pour dire le vrai, à voir de trop près cette sanglante fête, l’oreille
au surplus étourdie par les aboiements et sifflements inouïs de cette populace
dont on ne savait, à l’ouïr, si elle était loup ou serpent. Nous tirâmes donc
en aval de la rivière dans l’espoir de passer un des deux ponts restants, le
pont Notre-Dame se trouvant clos pour les travaux qu’on y faisait. Le quai de
Port-au-Foin étant à partir de là discontinué, et laissant place à une rive
herbue, nous fûmes à plus de liberté, y ayant moins de monde, de cheminer sans
tant d’encombrement et approchant du bord, là où la rivière qui était fort
courante en son milieu s’accalmait, nous vîmes de très près un grand nombre de
corps dénudés, et sous la lune livides, que l’eau fluante balançait et virait
sans bruit dans les grandes herbes des berges, lesquelles, en les enlaçant, les
avaient retenus.
    Ha !
lecteur ! Si horrible que fût cette vue, nous vîmes pis à quelques toises,
car se trouvant là un grand attroupement de gens vociférants, nous y fûmes, et
poussés par je ne sais quelle inquiète curiosité, je dis à Fröhlich de m’ouvrir
un chemin, ce qu’il fit rien qu’en avançant tout droit à son pas coutumier,
fendant cette foule aussi aisément que cotel divisant une motte de beurre, moi
à sa suite comme barquette remorquée par un chaland, Giacomi et Miroul dans mon
sillage. Et là je vis un large demi-cercle maintenu ouvert par des gardes du
roi, lesquels refoulaient la commune de leurs hallebardes à l’horizontale,
tandis que trois des leurs retiraient de l’eau un cadavre lequel, à ce que je
vis, quand enfin ils le ramenèrent à terre, était nu, décapité, et mutilé de
ses pudenda.
    Le garde qui
me confrontait ayant beaucoup de mal à contenir nos marauds criards du manche
de son arme, lequel pourtant il tenait à deux solides poignes devant lui, je
dis à Fröhlich de lui donner du large, ce qu’acheva ce grand ribaud des
montagnes, rien qu’en bandant à l’arrière son large dos, les pygmées derrière
lui tombant cul par-dessus tête et l’un sur l’autre comme dominos. À quoi le
garde, fort soulagé et conforté, rit à gueule bec, et me merciant, dit à
Fröhlich :
    — M’est
avis, compagnon, que j’ai déjà vu ta face et carrure au Louvre !
    — Garde,
dis-je promptement, mon valet ne peut te répondre, étant muet. Mais toi qui
n’es pas muet, peut-être peux-tu me dire quel est ce corps que vous avez tiré
de l’eau à tant de peine ?
    — C’est
ce brigand de Coligny ! dit le garde, et à ce nom, la populace se mit à
hurler et à siffler comme tous les diables de l’enfer.
    — Ha !
dis-je, le nœud de la gorge me serrant, mais tâchant de faire bonne figure, et
qui commanda de le décapiter ?
    — Le
Guise, pour dépêcher sa tête au Pape.
    — Et qui
le mutila ?
    — Ce sot
peuple que vous voyez là. Lequel aussi le traîna à terre pour le jeter en
Seine.
    — Et
pourquoi l’en tirer ? dis-je en levant le

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