Paris vaut bien une messe
des Mons, sans que l’on sût à quel parti ils
appartenaient, huguenots ou ligueurs – mais peut-être n’étaient-ce que des
détrousseurs, des massacreurs n’invoquant la religion ou la cause que pour
masquer leur âme d’assassins et de violeurs.
Ceux-là se nourrissaient de la guerre.
C’était donc avec elle qu’il fallait en finir si l’on voulait
que les routes soient à nouveau sûres, et que l’on puisse dormir en sûreté dans
les villages et les châteaux.
Je Vous ai donc rendu grâce, Seigneur, quand Henri III
s’est penché sur Henri de Navarre et l’a invité à se redresser, puis l’a serré
contre lui.
À ce moment, la foule a crié « Vive le
roi ! », puis « Vivent les rois ! », et j’ai frissonné
d’émotion.
Je me suis senti frère de ces gentilshommes, de ces
marchands, de ces enfants et de leurs mères qui avaient envahi le parc et s’y
pressaient, tant et si bien qu’ils empêchaient les deux souverains d’avancer
vers le château en se tenant par le bras.
L’un, Henri de Navarre, était vêtu d’un pourpoint usé aux
épaules et aux flancs par le port de la cuirasse. Il était enveloppé d’un
manteau rouge d’empereur romain et l’on voyait, sous l’étoffe écarlate, la
grande écharpe blanche du parti huguenot. Je me suis trouvé un bref instant
près de lui, j’ai croisé son regard, et dans son visage ridé, déjà vieilli,
l’œil vif et joyeux. J’ai cru à la franchise de cet homme qui m’a paru de bon
métal, sonnant juste.
L’autre, Henri III, avait jeté sur ses épaules une
courte cape. Les cheveux bouffants, à demi cachés par un petit chapeau à bord
roulé, il paraissait lui aussi heureux de cette rencontre, et je l’ai vu, d’un
geste, demander à l’un des gentilshommes huguenots de lui tendre une écharpe
blanche qu’il a nouée à son épaule. Et la foule, après un instant d’hésitation,
de répéter : « Vive le roi ! », « Vivent les
rois ! ».
Je n’avais pas estimé possibles de tels gestes de paix.
J’étais avec Michel de Polin, resté à Niort, parmi les huguenots, puis, avec
eux, nous avions chevauché vers Saumur, cette place que Henri de Navarre
réclamait à Henri III comme gage de bonne alliance.
Mais je sentais autour de nous les réticences et j’entendais
les sarcasmes.
Qui pouvait faire confiance, nous répétait-on, à ce
roi-femme, à ce souverain-putain, à cet assassin ? Certes, il avait, en
tuant les Guises, duc et cardinal, envoyé en enfer les pires ennemis des
huguenots ; mais il continuait de négocier avec le duc de Mayenne, le
frère des Guises. Et son âme appartenait au diable.
Il est imbu du vice que la nature abhorre, me disaient un
Séguret ou un Jean-Baptiste Colliard.
Ceux-là, l’envie m’était grande de les défier en duel régulier
afin de parachever nos combats passés. Eux-mêmes m’avaient d’ailleurs avoué
qu’ils devaient se faire violence pour ne pas me planter leur lame dans le
corps, parce qu’ils savaient que mon épée était rouillée par le sang de tant et
tant de leurs compagnons.
Mais Michel de Polin se plaçait entre nous. L’heure était à
la paix et non à la guerre. Séguret et Colliard se contentaient alors de
vilipender ce roi, ses mignons et ses archimignons.
— Son cabinet, ajoutaient-ils, a été un vrai sérail de lubricité
et de paillardise, et sa chambre une école de sodomie où se sont déroulés de
sales ébats. Jusqu’à la chambre du château de Blois, devenue un coupe-gorge
pour les Guises, certes plus haïssables que le roi, mais plus vertueux !
Je n’avais rien à répondre.
Je n’étais ni courtisan de ce monarque, ni son favori, ni
son gentilhomme. Je ne le servais pas plus que je ne servais Henri de Navarre.
Je voulais que la guerre cesse et qu’on en finisse avec ces massacreurs qui
maculaient de sang les autels et le visage du Christ.
Je voulais que la foi en Vous, Seigneur, ne soit plus une
arme dont on se sert pour tuer un rival, neutraliser un ennemi.
Ce qu’elle était encore plus que jamais dans le camp des
ligueurs.
Leonello Terraccini revenait de Paris et émaillait son récit
d’un mot qu’il répétait en secouant la tête : Pazzi, pazzi !
« Fous, fous ! » traduisait Vico Montanari
dans la demeure duquel Michel de Polin et moi le rencontrions.
Chaque jour, dans les rues de la capitale, ce n’étaient,
disait Terraccini, que processions, actions de grâces pour
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