Paris vaut bien une messe
l’épaule afin que je me redresse, me prend par
le bras, familier et même tendre.
— Thorenc, me dit-il, vous êtes celui qui peut se faire
entendre par mon cousin Henri de Navarre. Vous êtes celui en qui je place ma
confiance. Je fais la guerre contre mon cousin sans la vouloir. Mais il le faut
bien, si je ne veux pas que les ligueurs me chassent du trône et m’égorgent. Je
suis contraint de continuer la guerre contre les huguenots, mais faites-leur
savoir que je ne le veux point !
Nous sommes passés de son vieux cabinet à sa chambre.
Il s’arrête, les yeux rivés sur les taches brunes qui
souillent le parquet.
— Ils m’ont indignement traité, moi, le roi,
murmure-t-il.
Il se penche vers moi. Sa lèvre tremble.
— J’aurais bien volontiers accompli cet acte de justice
par la voie ordinaire plutôt que par celle qui a été choisie et qui ne me plaît
pas plus qu’à vous, Thorenc. Il y avait contre Henri et Louis de Guise
plusieurs chefs de crime de lèse-majesté pour chacun desquels ils méritaient la
mort. Mais ils avaient pris un tel pied et acquis tant de partisans dans le
royaume et à la cour qu’il était impossible d’arriver à la fin recherchée par
la voie ordinaire sans tout mettre sens dessus dessous.
Je me tais et deviens ainsi son complice.
— Thorenc, insiste-t-il, que puis-je ? Les
théologiens de Paris viennent de délier mes sujets du serment de fidélité
qu’ils me doivent. On les invite à me tuer comme si j’étais l’adversaire de la
religion !
Il se signe.
— Dieu sait que je suis Son serviteur, mais les
ligueurs, prêtres et moines, me nomment tyran, ils arment le bras d’assassins
dont je sais qu’ils ne rêvent que de m’égorger. Ils détruisent à coups de masse
mes armoiries et mes portraits…
Il porte la main à son visage comme s’il venait de recevoir
un coup.
— Thorenc, il veulent me couper le cou ! Il faut
bien que je me défende, dussé-je me servir des hérétiques et même des
Turcs ! François I er l’a fait contre Charles Quint,
pourquoi ne le ferais-je pas contre le frère de Henri de Guise et de Louis, ce
petit duc de Mayenne qui gouverne à Paris et a mis son épée au service du roi
d’Espagne ?
Il me serre le coude.
— Vous avez été le compagnon de Diego de
Sarmiento ? Cet homme-là, au nom de Philippe II, a tout fait et fera
tout pour que je meure et pour que le royaume de France ne soit plus qu’un
cadavre !
Il cherche fébrilement dans la manche de son pourpoint et en
sort un billet froissé qu’il déplie, puis me le tend.
Je lis ces mots : « Pour entretenir la guerre en
France, il faut sept cent mille écus tous les mois. »
— C’était dans les poches de Henri de Guise. Le prix
qu’il réclamait, pour ses services, à Sarmiento.
Il s’éloigne d’un pas, puis revient vers moi.
— Vois Henri de Navarre, Thorenc. Aide-moi, aide-nous,
aide le royaume à guérir de la guerre !
Je sais ce qu’il en est des maladies du royaume.
Leonello Terraccini est rentré de Paris. Je l’écoute, dans
la demeure de Vico Montanari, raconter ce qu’il y a vu.
Le peuple de la capitale célèbre chaque jour, dans chaque
rue, la mémoire des Guises. La cathédrale Notre-Dame est tendue de noir afin
que n’apparaissent plus que leurs armoiries.
On brise à coups de masse les sépultures des proches du roi,
« sangsues du peuple et mignons de tyrans ». On dénonce les
« horribles assassinats perpétrés par le tyran, le vilain Hérode, faux roi
et vraie putain ».
Quant au duc de Mayenne, au nom de la Sainte Ligue, il
appelle Philippe II à l’aide.
Diego de Sarmiento a quitté la France pour l’Espagne afin
d’apporter à son souverain le message des ligueurs.
« L’entente entre celui qui était notre roi, et qui
n’est plus qu’un tyran sans foi, et la huguenoterie de Henri de Navarre est
notoire, a écrit Mayenne. Apportez-nous votre appui, et vous aurez la gloire
d’avoir rétabli l’Église et ce royaume vous en aura une perpétuelle
obligation. »
J’ai hésité durant plusieurs jours.
Où étaient les grands élans de ma jeunesse quand je croyais
que les monarques étaient les serviteurs de Dieu et que leurs actes ne visaient
qu’à grandir Sa gloire et celle de Son Église ?
Où étaient le bel aveuglement et les grandes passions de mes
années de combats en Andalousie, à Malte ou, avec la flotte de la Sainte Ligue,
à Lépante ?
Je savais
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