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Paris vaut bien une messe

Paris vaut bien une messe

Titel: Paris vaut bien une messe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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rassemblés autour du Castellaras de la Tour, menaçants. Je suis sorti
seul, mon épée à la main, et j’ai hurlé : « Elle est à
moi ! » puis j’ai fait déposer à leurs pieds le produit de ma chasse
de la veille – trois sangliers, des bêtes lourdes et grasses qui leur donneraient
du jambon pour plusieurs mois.
     
    Après quoi je suis retourné dans la chapelle pour prier,
Seigneur, devant Votre visage aux yeux clos. J’ai sollicité pour elle Votre
miséricorde. Elle s’était abandonnée aux puissances de l’enfer, mais elle avait
sauvé cet enfant, notre fils, dont la voix jaillissait près de moi au pied de
Votre autel.

 
36.
    La voix de mon fils Jean, je ne me suis pas lassé de
l’entendre.
    Sa main, j’aurais voulu ne jamais la lâcher.
    Elle était potelée, la peau lisse et rose comme du satin, et
si bien formée qu’elle m’émerveillait.
    Je pouvais la cacher tout entière dans mon poing. Et Jean la
serrait autour de mon majeur comme si mon doigt avait été une branche.
    Parfois, en jouant, je l’ai prise dans ma bouche et ai
refermé les dents sur son poignet comme si j’avais voulu le trancher. Jean
riait, se débattait entre joie et frayeur, et, lorsque je le libérais, je lui
disais, en le soulevant à bout de bras :
    — Je te mange ! Je te dévore ! Je
t’avale !
    Et tout à coup il me semblait qu’en moi, en effet,
sommeillait un ogre qui aurait pu engloutir cet enfant dans un moment de folie
et d’amour mêlés.
     
    Je m’éloignais. Je regardais ce fils.
    J’avais envie de tomber à genoux, Seigneur, pour Vous
remercier de me l’avoir donné.
    Je comprenais comme jamais qui Vous étiez, mon Dieu, dans
Votre bonté, de par ce miracle de la Vie, de la naissance, de l’enfance, de par
l’innocence de mon fils qui venait vers moi, désarmé.
    Seigneur, Vous aviez voulu que les enfants d’humains ne
puissent vivre que par l’amour qu’on leur portait.
    Vous aviez été Vous aussi, comme mon fils Jean, comme tous
les enfants, un être sans défense. J’avais lu l’Évangile selon saint Matthieu
et je me souvenais de l’ange du Seigneur qui apparaît à Joseph et lui
dit : « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Égypte et
restes-y jusqu’à ce que je te parle. Car Hérode va chercher l’enfant pour le
perdre ! »
     
    J’ai prié devant Votre visage aux yeux clos.
    J’ai compris Votre accablement et Votre compassion
qu’exprimaient les rides autour de Votre bouche.
    À chaque naissance, Vous donniez aux hommes la chance du
salut.
    Il nous suffisait d’aimer l’être nouveau que nous avions
engendré et qui dépendait de nous.
    À chaque naissance, depuis que l’homme est l’homme, Vous
assistiez au massacre des innocents.
    Cet enfant nu, nous le tuions, nous le laissions mourir, ou
bien nous en faisions un égorgeur.
     
    Je me souvenais d’avoir vu, ce dimanche 24 août 1572,
jour de la Saint-Barthélemy, des enfants massacrés, mais aussi d’autres qui,
comme des vautours sur la charogne, s’acharnaient à mutiler, à dépecer, à
brûler les corps.
    Plusieurs dizaines d’enfants – peut-être deux
cents – s’étaient ainsi jetés sur le cadavre de l’amiral de Coligny et
l’avaient profané.
    Voilà ce que nous faisions des enfants, Seigneur, et de la
liberté que Vous nous aviez donnée de les aimer, de les protéger ou bien de les
haïr, de les tuer ou de les pervertir.
     
    J’avais assisté à tant de massacres des innocents !
    J’avais vu tant d’hommes fracasser la tête des enfants
contre les murs, les jeter dans les flammes ou les embrocher.
    J’avais laissé faire, détournant à peine les yeux des
nouveau-nés chrétiens donnés en pâture aux chiens par les Barbaresques, des
corps des enfants maures en Andalousie, ou bien de ceux des fils de huguenots,
rue des Fossés-Saint-Germain.
    Et maintenant j’avais un fils dont la gorge était menacée
par le poignard d’Hérode, comme l’était celle de tous les enfants.
    J’avais peur pour lui.
    Sa mère avait massacré des innocents.
    Et je ne savais pas, Seigneur, vers quelle Égypte je pouvais
m’enfuir pour mettre mon fils Jean à l’abri des égorgeurs.
    Parfois, je vous l’ai dit, je craignais qu’un ogre en moi ne
surgisse et que je ne devienne Hérode pour mon fils.
     
    J’ai eu peur de moi, du désir de me châtier pour tout ce que
j’avais fait, tout ce que je n’avais pu empêcher.
    J’ai craint d’attirer par ma présence le

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