Paul Verlaine et ses contemporains par un témoin impartial
pages forment une lente introduction : comme des draperies aux plis lourds s’écartent et s’élèvent doucement, pour annoncer déjà la gravité du sujet. Puis, ne voulant pas que l’on s’attarde aux décors, pour lui détails secondaires, Morice épingle d’abord vivement cette brève étiquette à l’œuvre du poète [6] :
« Verlaine – et c’est la qualité maîtresse de son génie – est subtilement simple comme fut notre Moyen-Âge, – sa patrie naturelle dans le temps. C’est parmi les artistes des XV e et XVI e siècles qu’il faudrait chercher des émules aux plus chantourneurs des Parnassiens, et c’est à Villon qu’on a très justement comparé Verlaine. »
Morice reprend, durant trois pages encore, les habiles phrases de son introduction, puis, avant que l’attention se lasse, il ajoute à sa démonstration du poète le récit imagé des premières œuvres :
Poèmes saturniens [7] : « Par l’esprit, il se réclama surtout de Baudelaire dont il devait être l’unique héritier. Mais pour la forme, c’est de Leconte de Lisle que Verlaine fut d’abord l’élève. Il lui prit toute la livrée d’exotisme védique : le Kchatrya, la Ganga, l’excellent Rama, Raghû et Bhagavat lui-même, et toute la livrée d’archaïsme hellénique : l’Hellas, Sparte, Orpheus, Alkaïos, Hector, Odysseus, Akhilleus et Homeros lui-même. Surtout il se soumit à cette impassibilité, laquelle était alors de commandement dans l’entresol de Lemerre :
À nous qui ciselons les mots comme des coupes,
Et qui faisons des vers émus, très froidement…
Est-elle en marbre ou non, la Vénus de Milo ?
Tout cela sent, il est vrai, quelque peu l’appris, le voulu, trahit le discipulat. »
Fêtes galantes [8] : « Verlaine, nerveux et inquiet, saisit et trouble… Dès les Fêtes galantes , il est profondément atteint de l’influence baudelairienne. »
La Bonne Chanson [9] : « Un bouquet de fiançailles à parfumer une corbeille de noces… on dirait que le vers lui-même prend des précautions pour ne pas effaroucher une jeune fille. »
Romances sans paroles [10] : « Avec la déchéance des bonnes résolutions, avec le retour de la destinée Saturnienne, les goûts naturels du poète vont reprendre le dessus… il y a tous les horizons changeants où le poète voyage… il y a des violences vers des sites brutaux… on sent que l’orage s’amasse dans cette âme embrumée. »
C’est pour Verlaine le temps des révolutions ; son cœur, son esprit, son âme tremblent et se soulèvent ; il tombe et se relève ; les tourmentes parfois le déchirent, et les blessures se fermeront peut-être, mais la trace en restera : cette époque d’angoisse et de souffrance préparait Sagesse, et c’est à l’apparition de Sagesse que Morice réserve son accueil le plus fervent [11] :
« C’est là qu’apparaît, byzantine un peu et très orthodoxe, la Madone,
Siège de la Sagesse et source de pardons.
Privée comme à souhait de tous les nimbes usés par les peintres d’assomption, Madone grise et maigre, aux longues mains rapprochées sans entre-croiser leurs doigts, aux yeux très baissés, le front ceint d’une rigide couronne, nul soin de grâce : ni la Vierge classique de Raphaël, ni la Vierge convenue de Murillo, ni la douce Madone allemande des missels, ni la Femme surnaturelle de Vinci, mais plutôt la Vierge jaune de Saint-Luc et des Grecs. Pourtant elle est toute douceur, quoique son geste soit un peu sec ; c’est elle qui joint les mains, les mains lâches du pénitent, et qui lui baisse les yeux, ses yeux éblouis des choses !… On sent que le poète, refréné par les commandements, s’interdit l’essor des fantaisies : mais il y perd bien peu, sa puissance n’étant pas dans la fantaisie, et il gagne en profondeur concentrée ce qu’il délaisse d’indépendance… Écoutez ce bruit profond d’orage venu de loin pour se résoudre en musicale foudre que soutiendraient et prolongeraient tous les jeux de l’orgue :
Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme,
Et les voici vibrer aux cuivres du couchant.
Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur le champ :
Une tentation des pires… fuis l’infâme !
Ils ont lui tout le jour en longs grêlons de flamme,
Battant toute vendange aux collines, couchant
Toute moisson de la vallée, et ravageant
Le ciel tout bleu,
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