Perceval Le Gallois
la rive et aperçut bientôt une vaste forteresse bâtie au flanc d’une colline qui descendait vers la mer. Au milieu de cette forteresse s’élevait une haute et puissante tour. Une solide barbacane commandait le point de l’estuaire où la rivière mêlait ses eaux, tumultueuses aux flots de la mer, dont les vagues venaient se briser contre les remparts. Aux quatre coins de ceux-ci, quatre tours basses et trapues, de fort belle allure, constituaient une défense redoutable contre tout assaillant, qu’il vînt de la terre ou de la mer. Devant un portail fortifié, un robuste pont de pierre, bâti à sable et à chaux, flanqué de tourelles sur toute sa longueur, et pourvu d’une poterne en son milieu, enjambait la rivière. C’est vers lui que se dirigea le fils de la Veuve Dame.
Or, il aperçut un homme assez âgé, à en juger par ses cheveux blancs, et vêtu d’une robe d’hermine qui s’y promenait nonchalamment. Par contenance, celui-ci tenait en sa main une badine, et, près de lui, marchaient deux valets sans manteau. Le jeune Gallois, qui n’avait pas oublié les leçons de sa mère, salua le vieil homme en précisant : « Ainsi m’a enseigné ma mère.
— Dieu te bénisse, jeune homme », lui répondit le vieillard qui avait bien compris, à son langage et à sa gaucherie, que le nouvel arrivant était naïf et quelque peu sot. Perceval mit pied à terre. « D’où viens-tu donc ? reprit le vieillard. – De la cour du roi Arthur, répondit Perceval. – Qu’y es-tu allé faire ? – Le roi m’a fait chevalier, que Dieu le protège ! – Chevalier ? répliqua le vieillard en souriant. Que Dieu me pardonne ! Je ne pensais pas que le roi se souvînt encore des chevaliers ! Je le croyais au contraire seulement occupé à se distraire ! – Le roi Arthur ne se distrait pas, affirma sérieusement Perceval. Il est au milieu de sa cour et ordonne aux chevaliers d’aller partout dans le monde faire régner l’ordre et la justice ! »
Le vieil homme se rendait bien compte que, si son interlocuteur avait la fougue de la jeunesse, il était totalement inexpérimenté. « Qui t’a donné cette belle armure vermeille ? demanda-t-il. – C’est le roi qui m’en a fait présent, répondit Perceval. – Vraiment ? reprit le vieil homme d’un ton ironique. Je voudrais bien savoir comment et en quelles circonstances le roi Arthur t’a donné ces armes. » Sans plus attendre, le jeune Gallois lui raconta tout ce qui s’était passé et comment il avait vengé l’honneur d’Arthur et de la reine Guenièvre. « Fort bien, dit l’autre. Je vois que tu es courageux et loyal. Mais que sais-tu faire de ton destrier ? – Je le fais galoper où je veux et comme je veux, de même qu’autrefois mon cheval de chasse. Celui-ci était gris pommelé et très robuste. Je l’ai donné au chevalier qui m’a aidé à revêtir cette armure. – Par Dieu tout-puissant, ta réponse me satisfait pleinement. Mais, dis-moi encore : pourquoi es-tu venu jusqu’à moi ?
— Seigneur, ma mère m’a enseigné de prendre conseil de quiconque a les cheveux gris ou blancs car, m’a-t-elle assuré, ce sont des gens généreux et qui ont une grande expérience de la vie. Et elle a ajouté que, dans ce cas, je devais m’efforcer de les servir le mieux que je pourrais. – Mon garçon, bénie sois ta mère de t’avoir prodigué de si bons avis. Mais n’as-tu plus rien à me dire ? – Seigneur, simplement ceci : je te prie de bien vouloir m’héberger ce soir. – Très volontiers, mais à condition que tu m’accordes un don. – Quel est ce don, seigneur ? – Que tu te fies autant en mes conseils qu’en ceux de ta mère. – Sur ma foi, dit Perceval, voilà une chose que je t’accorde de grand cœur.
— Eh bien, repartit le vieil homme, puisque tu es en de si bonnes dispositions, je veux que tu apprennes tout de suite certaines façons de te comporter. Je suis en effet persuadé que tu les ignores. » Sur un geste de sa part, les deux valets désarmèrent Perceval. Il ne lui resta plus que les braies de rustre, les gros brodequins et le manteau en peau de cerf mal taillée que sa mère lui avait donnés avant son départ de la Gaste Forêt. Aussitôt, le vieil homme se fit chausser les éperons d’acier tranchant du jeune Gallois, enfourcha le cheval de celui-ci, suspendit le bouclier à son propre cou et saisit la lance. « Mon ami, dit-il, il faut que tu apprennes à te servir de
Weitere Kostenlose Bücher