Perceval Le Gallois
de l’audace. Et chaque fois que tu passeras près d’une église, arrête-toi pour y prier afin que Dieu te garde des démons de l’enfer.
— Sur ma foi, seigneur, s’écria Perceval, sois béni pour tous ces conseils ! Ma mère m’a toujours parlé comme tu le fais ! » À ces mots, le vieillard manifesta quelque agacement : « Frère, dit-il, arrête de parler sans cesse de ta mère, de répéter que c’est elle qui t’a donné des conseils. Tu es un homme et, en tant qu’homme, il t’appartient d’être responsable de tous tes actes. – Ainsi ferai-je, répondit Perceval. Chaque fois que je devrai agir, je le ferai selon la dictée de mon cœur.
— Méfie-toi de ton cœur, repartit Gornemant, trop souvent ses impulsions t’empêcheront de réfléchir. Ne te laisse pas aller à des actes inconsidérés. Surveille aussi ton comportement vis-à-vis des femmes, mon ami. Si tu es vaillant et débonnaire, les dames et les jeunes filles tourneront les yeux vers toi, et tu en éprouveras beaucoup d’agrément. Mais garde-toi d’être inconstant avec elles. Si tu en viens à leur mentir, tu pourras en tromper beaucoup mais, sache-le, ruse et fausseté ne procurent que gloire éphémère. Le rôdeur maudit le bois sec qui, dans les fourrés, se brise et craque alors qu’on s’avance en tapinois, réveillant le dormeur qu’on voulait surprendre. Applique à l’amour cette image. Le noble amour n’est pas dépourvu d’esprit, il sait user de ruse contre la mauvaise foi, mais attire sa défaveur et tu seras déshonoré, tu en porteras longuement la honte. Sache, mon ami, que l’homme et la femme sont une seule et même chose, comme le soleil qui brille aujourd’hui et qu’on nomme le jour. L’un et l’autre ne se peuvent séparer. Ils sont fleurs issues d’une même graine, comprends-le bien. »
Bien que Perceval fût impatient de prendre congé, Gornemant lui dit encore : « Écoute un dernier conseil. Le silence est parfois préférable à la parole, et les bavards sont souvent incapables d’accomplir les actes dont ils jacassent. Ne te mêle pas des affaires d’autrui, ne pose pas de questions qui risqueraient de t’attirer la haine et le mépris. En revanche, lorsqu’on t’en posera une, il ne faudra pas l’ignorer mais, avant d’y répondre, réfléchis avec soin, car c’est à leurs réponses que l’on juge du bon sens des gens. Maintenant, frère, j’ai assez parlé. Tu peux partir. Souviens-toi seulement de Gornemant de Goort, et que Dieu te protège !
— Seigneur, dit Perceval, je te le promets de grand cœur : aussi longtemps que je vivrai, je me souviendrai de toi et j’agirai selon tes conseils. Que Dieu te récompense des bontés dont tu m’as comblé ! » Alors, sans plus s’attarder, le jeune Gallois sauta sur son cheval, piqua des deux et, traversant le pont, se mit à galoper le long de la rivière.
Il lui tardait de revoir sa mère, et cette pensée le harcelait si fort qu’il ne pouvait trouver de joie à contempler le paysage sous le soleil qui brillait avec tant d’éclat. Il chevaucha toute la journée et, alors que le soir tombait, il aperçut devant lui une vaste forteresse fièrement campée sur un promontoire au-dessus de la mer, et à l’entour de laquelle il n’y avait rien que l’eau et la terre déserte. Il se hâta donc dans sa direction et parvint enfin devant l’entrée. Mais il fallait d’abord traverser un pont, et ce pont semblait si fragile qu’il hésita à s’y engager, craignant qu’il ne s’effondrât sous son poids et sous celui de son cheval. Il s’y hasarda cependant, non sans d’infinies précautions, et n’y éprouva aucune mésaventure.
Seulement, il trouva la porte soigneusement close et se mit à la marteler de ses poings. En haut de la poterne qui la surmontait, s’ouvrit une fenêtre où apparut le visage d’une jeune fille. « Qui es-tu, toi qui t’acharnes ainsi contre cette porte ? – Belle amie, répondit Perceval, je suis un chevalier qui demande l’hospitalité pour la nuit. – Soit, dit la jeune fille, mais tu n’en auras guère de reconnaissance. Enfin, nous te recevrons aussi bien que nous le pourrons. »
Sur ces paroles qui lui parurent fort mystérieuses, Perceval vit la jeune fille quitter la fenêtre et craignit qu’on ne le fît attendre très longtemps. Il se remit donc à frapper de plus belle contre le vantail. Alors, quatre sergents, la hache pendue au cou et l’épée
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