Perceval Le Gallois
te servir, mon garçon. Et toi, ne veux-tu pas me dire le tien ? – En vérité, je ne sais trop que te répondre. De tout le temps que j’ai passé chez ma mère, on m’appelait Beau Fils, ou encore Fils de la Veuve Dame. Cependant, il paraît que je suis Perceval, fils d’Evrawc, mais je ne le sais que depuis que je suis allé à la cour d’Arthur. – Eh bien, Perceval, fils d’Evrawc, tu es assurément d’une noble famille, et je suis trop heureux de t’accueillir dans ma maison. »
Traversant le pont, tous deux entrèrent dans la forteresse, main dans la main. Devant la tour, auprès du perron, un autre valet accourut avec un manteau court dont il s’empressa de revêtir Perceval, de peur qu’après l’échauffement des exercices, le froid ne le saisît et ne lui causât mal. Gornemant conduisit ensuite son hôte dans une salle richement ornée où des tables dressées portaient un repas bien préparé et bien servi. Après s’être lavé les mains, ils prirent place. Gornemant installa Perceval près de lui et le fit manger dans son écuelle. Comme le jeune Gallois était affamé, il se jeta sur la nourriture et, sous l’œil amusé de son hôte, dévora gloutonnement tous les mets qu’on lui présentait. Quand il se fut rassasié et eut bu tout son soûl, il sentit le sommeil s’emparer de lui.
Alors, tous deux se levèrent de table, et Gornemant le mena vers les chambres afin qu’il pût reposer à loisir. Cependant, tout en marchant, il le pria vivement de demeurer chez lui un mois entier, voire, s’il était possible, une année pleine. Il pourrait ainsi, disait-il, lui apprendre, si tel était son désir, bien des choses qui lui seraient fort utiles, le cas échéant. « Seigneur, répondit Perceval, je te remercie, mais une chose me tourmente : j’ignore à quelle distance je me trouve du manoir de ma mère, mais je prie Dieu qu’il me conduise vers elle et me permette de la voir encore. Quand je l’ai quittée, je l’ai vue tomber sur le sol, devant la porte, à l’entrée du pont, et je ne sais si elle est vivante ou si elle est morte. Assurément, la raison de sa chute est le chagrin que lui causait mon départ. Et voilà pourquoi, tant que je serai dans l’ignorance de son sort, aucun long séjour ne me sera possible nulle part. Avec ta permission, je te quitterai demain, au lever du jour. »
Gornemant comprit que son insistance n’entamerait nullement la détermination du jeune Gallois dont l’entêtement semblait égal à la naïveté. Aussi, sans ajouter une parole, introduisit-il Perceval dans une chambre où l’on avait dressé un bon lit à son intention. Et aussitôt couché, celui-ci sombra dans un profond sommeil.
Le lendemain, dès les premiers rayons du soleil, Gornemant se leva et s’en alla droit dans la chambre du jeune Gallois. Il y fit apporter une chemise et des braies de fine toile de lin, ainsi que des chausses teintes en rouge et un manteau de soie violet. « Ami, dit-il à Perceval, si tu m’en crois, tu prendras ces vêtements-ci. – Certes non, répliqua Perceval. Regarde les vêtements que m’a donnés ma mère : ils sont solides et valent bien mieux que ceux que tu m’offres. Pourquoi voudrais-tu que j’en change ? – Mon ami, dit Gornemant, je ne me disputerai pas avec toi là-dessus. Souviens-toi seulement que tu as promis, en pénétrant dans ma demeure, d’observer tout ce que je te commanderai. – Il est vrai, dit le jeune homme, et je vois qu’il faut me résoudre à endosser ces vêtements. »
Il revêtit donc les habits qu’on lui présentait, puis Gornemant s’inclina pour lui fixer l’éperon droit, ainsi qu’alors le voulait la coutume de l’adoubement. Les valets se pressaient nombreux tout autour pour armer le jeune homme. Quand ils eurent terminé, Gornemant prit l’épée, la lui ceignit et lui donna l’accolade. « En te remettant l’épée, dit-il, je te confère l’ordre de chevalerie qui ne souffre aucune bassesse. Frère, souviens-t’en chaque fois qu’il te faudra combattre. Si ton adversaire vaincu implore sa grâce, tu dois l’écouter et la lui accorder. Il serait ignominieux pour toi de tuer un homme qui reconnaît ta supériorité. S’il t’arrive de rencontrer un homme ou une femme dans la détresse, tu devras l’aider par tous les moyens, soit en lui prodiguant les conseils qu’il attend, soit en combattant afin que justice soit faite. Il faut que toujours la pitié soit la compagne
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