Perceval Le Gallois
tes armes. Regarde bien ce que je vais faire, comment on doit tenir sa lance, éperonner son cheval et retenir son allure quand on se mesure à un adversaire. »
Là-dessus, il déploya l’enseigne et lui montra comment porter le bouclier : « Laisse-le pendre un peu en avant, de façon qu’il touche l’encolure du cheval. » Puis, la lance en arrêt, il fit tâter de l’éperon au fougueux coursier qui bondit en avant pour s’arrêter quelques foulées plus loin. Le vieillard semblait un maître en ces exercices, et il est probable qu’il avait appris l’art de la chevalerie dès son plus jeune âge. Le fils de la Veuve Dame se plut grandement à le regarder, et il suivit de l’œil chacun de ses mouvements. Son galop terminé, le vieil homme revint, lance levée, et dit à Perceval : « Mon ami, saurais-tu jouter ainsi de la lance et du bouclier, et gouverner ainsi ton cheval ? – Seigneur, répondit Perceval, je ne veux posséder nulle terre avant de savoir faire ce que tu fais devant moi ! – Ce que l’on ne sait pas, on peut toujours l’apprendre, répondit le vieil homme. L’essentiel est de s’en donner la peine. Tout métier réclame des efforts, du courage et de la persévérance. Une fois tous ces ingrédients réunis, il n’est obstacle qu’on ne puisse dominer. Aussi vais-je te prier de monter sur ton cheval et de répéter ce que je viens de te montrer. – Bien volontiers, seigneur, répondit Perceval. Non seulement je dois suivre tes conseils, mais je dois aussi accomplir ce qui est mon plus cher désir. Ordonne, et j’agirai comme tu le souhaites. »
Aussitôt que le vieil homme l’eut aidé à se mettre en selle, Perceval détala, maniant la lance et le bouclier avec autant de dextérité que s’il avait passé sa vie entière à tournoyer, se battre et à vagabonder par le monde en quête d’aventures et d’exploits. Son mentor, qui le regardait attentivement, en fut tout émerveillé. « Sur ma foi, se disait-il, quand bien même je me serais adonné autant de jours que j’ai vécus aux armes et à l’équitation, je serais incapable de surpasser ce jeune Gallois qui n’a probablement jamais rien appris ! » Et quand, son tour achevé, Perceval revint, lance levée comme il avait vu faire, en demandant : « Seigneur, qu’en penses-tu ? Crois-tu que je puisse atteindre au but si je m’en donne la peine ? Mes yeux n’ont encore vu chose dont j’aie plus ardent désir. Comme j’aimerais posséder science égale à la tienne ! », le vieillard s’écria : « Ah, mon ami ! Si ton cœur est toujours aussi vaillant, il est inutile que tu te tourmentes ! Tu sauras très vite tout ce qu’il convient de savoir. » Puis il le pria de reprendre son exercice. Ainsi, par trois fois, lui prodigua-t-il ses conseils avant, par trois fois, de l’envoyer prouver qu’il avait compris la leçon. Cela fait, il l’interrogea en ces termes : « Si tu rencontrais un chevalier et qu’il te frappât, que ferais-tu ? – Seigneur, répondit Perceval, je le frapperais à mon tour. Cela m’est déjà arrivé à plusieurs reprises, et j’ai toujours démonté l’adversaire ! – Admettons… Mais si ta lance se rompait ? – Alors, je lui décocherais mes javelots ! – Mais si tu n’avais pas de javelots ? – Alors, il ne me resterait plus qu’à lui courir sus et à le frapper avec mes poings ! » Le vieil homme se mit à rire : « Avec tes poings ? Tu ne manques pas d’audace ! Mais tu te briserais les poings contre son armure ! – Alors, demanda Perceval, que devrais-je faire ? – Cela va de soi : tu l’affronterais avec ton épée. »
Fichant la lance toute droite dans le sol, il s’empara de l’épée et, afin de pousser la leçon jusqu’au bout, se mit en garde comme pour attaquer Perceval puis lui montra comment se défendre. « Oh ! s’écria Perceval, à cet égard, que Dieu me protège ! J’en sais plus que quiconque car, chez ma mère, je me suis si souvent escrimé contre des coussins ou contre des planches que j’en étais parfois rompu de fatigue ! – Fort bien, conclut le vieillard, puisqu’il en est ainsi, suis-moi dans ma demeure, tu seras mon hôte.
— Très volontiers, seigneur, répondit Perceval, mais ma mère m’a enseigné de ne jamais faire longue compagnie à un homme sans connaître son nom. Il me faut donc apprendre le tien. – Je n’ai nulle raison de le cacher, je suis Gornemant de Goort, pour
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