Perceval Le Gallois
à la ceinture, vinrent lui ouvrir. « Entre, seigneur », dirent-ils simplement. Perceval les regarda : tous quatre étaient si maigres qu’ils faisaient pitié, et leurs traits tirés témoignaient de leurs veilles et de leurs fatigues. À leur suite, il avança cependant à l’intérieur de la forteresse.
Si la terre, au-dehors, lui était apparue nue et désolée, l’intérieur de la forteresse n’avait rien de plus réjouissant. Partout il ne vit que rues désertes et noires et masures délabrées. Visiblement, celles-ci étaient inhabitées. Leurs murs étaient lézardés, leurs tourelles sans toit, leurs portes béantes. Nulle part ne s’apercevait trace de four, nulle part d’écuries peuplées de bons chevaux, nulle part de celliers ou de granges. On le conduisit ainsi vers une demeure plus haute que les autres et qui avait conservé sa toiture d’ardoises et, après l’avoir fait descendre de cheval, on le désarma. Sortant du manoir, un valet accourut, portant un manteau gris qu’il jeta sur les épaules du jeune Gallois. Un second survint à son tour, qui s’empara du cheval et le mena vers une écurie apparemment fort pauvre en paille et en foin. Deux autres enfin l’introduisirent dans la demeure jusqu’à une belle salle où deux vieillards et une jeune fille vinrent l’accueillir.
La jeune fille s’approcha, plus gracieuse, plus élégante et plus vive que le plus bel oiseau du monde. Son manteau et sa chemise étaient d’un tissu de pourpre sombre, étoilé de fourrure grise et bordé d’hermine. Un col de zibeline noire et blanche, ni trop long ni trop large, parait son manteau.
À cette vue, Perceval se sentit défaillir. Sa mère ne lui avait-elle pas dit que l’être le plus beau qui existât au monde ne pouvait être que Dieu lui-même ? Or la femme qui se présentait devant lui était le plus bel être qu’il eût jamais vu. Ses cheveux flottaient sur ses épaules, et il semblait bien qu’ils fussent d’or fin, tant leur blondeur en était lustrée et chatoyante. Son front blanc, haut, uni, avait l’air ciselé dans le marbre le plus pur, l’ivoire le plus rare ou le bois le plus précieux. Ses sourcils étaient noirs comme la plume du corbeau (15) . Ses yeux étaient gris, bien fendus, riants et clairs. Son nez était droit et, sur son visage, le vermeil le disputait mieux à la blancheur de la neige que sinople sur argent. Nul n’aurait pu rester indifférent devant semblable beauté, et Perceval, conscient qu’il ne pouvait s’agir là de Dieu lui-même, se disait que cette jeune fille était un ange envoyé par Dieu sur son chemin pour le guider hors des ténébreuses fondrières de l’enfer.
Dominant son trouble, le jeune Gallois la salua aimablement, et elle lui rendit son salut avec infiniment de grâce. Les deux vieillards s’inclinèrent à leur tour. Puis la jeune fille prit Perceval par la main et lui dit d’une voix empreinte de douceur : « Beau seigneur, notre hôtel ne sera pas ce soir tel que le mériterait un homme de ton rang. Si je te disais dès maintenant à quelles extrémités nous sommes réduits, tu soupçonnerais sans doute une manœuvre de ma part et croirais que je désire te voir partir. Dieu sait pourtant qu’il n’en est rien ! Mais, je t’en prie, viens avec moi, accepte ma maison telle qu’elle est, et que Dieu te donne un meilleur lendemain. »
Toujours le tenant par la main, elle le conduisit alors en une autre salle, belle, longue et large, dont le plafond était orné de sculptures d’une finesse remarquable. Ils s’assirent tous deux sur un lit recouvert d’une magnifique étoffe de brocart. Autour d’eux, une dizaine de chevaliers observaient un profond silence, mais leurs yeux ne lâchaient pas le nouvel arrivant. Quant à lui, intimidé par la beauté de la jeune fille, et conformément aux conseils de Gornemant, il se gardait aussi de souffler mot. De sorte que, tout bas, les chevaliers s’en étonnaient. « Comment ? se disait chacun, se peut-il qu’un homme de si belle prestance soit réellement muet ? Cela serait grande pitié, car jamais si beau chevalier ne naquit d’une femme. Comme il a bon air à côté de ma dame, et comme ma dame est belle à côté de lui ! Si seulement ils consentaient à ne pas se taire ainsi ! Ah ! par Dieu tout-puissant, ces deux-là sont si beaux, lui et elle, que jamais deux êtres ne furent mieux faits l’un pour l’autre. Oui, Dieu fasse qu’ils s’unissent
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