Perceval Le Gallois
contre ses ennemis acharnés à sa perte ? Ou bien autre chose… ? Son cœur de femme en était tout bouleversé, et, après qu’elle se fut introduite dans la chambre et agenouillée sur le tapis, près du lit, elle ne put retenir ses larmes.
Elle pleurait avec tant d’abondance et avec des sanglots si bruyants que Perceval ne tarda pas à se réveiller. Tout surpris de sentir son visage mouillé, il se redressa et aperçut la jeune fille qui, toute proche, s’inclinait sur sa propre poitrine. Sa première réaction fut de tendre les bras et de la serrer encore plus étroitement contre lui. « Douce amie, dit-il, qu’as-tu donc à pleurer ainsi ? » Les sanglots de Blodeuwen redoublèrent. Il lui était impossible de parler tant elle tremblait et rougissait de son attitude. Perceval se sentait étrangement ému, et les frissons de la jeune fille se communiquaient à son propre corps. « Belle amie, reprit-il, ne reste pas ainsi au froid de la nuit, tu vas prendre mal. Je t’en prie, viens t’allonger près de moi, que je te réchauffe. » Tout étourdie, la jeune fille se défit de son manteau et, sans autres manières, se glissa entre les draps tout contre Perceval.
« Ah ! gentil chevalier, aie pitié de moi ! dit-elle. Au nom de Dieu et de son fils qui fut mis sur la Croix, je t’en prie, ne me tiens pas rigueur de mon attitude. Et si je suis vêtue comme tu le vois, je n’ai pas envisagé un seul instant de commettre la moindre folie. Sache-le, il n’est pas au monde de créature plus triste et plus désemparée que moi qui te parle ! »
Perceval était au comble de la perplexité. Que voulait son hôtesse ? Mais les paroles de sa mère et de Gornemant lui revinrent à l’esprit : « Par Dieu tout-puissant, se dit-il, j’ai promis d’aider de toutes les façons les dames et les jeunes filles qui seraient en détresse. Or celle-ci me paraît avoir cruellement besoin de moi. Et, sans penser à mal, il l’étreignit encore plus étroitement.
Ce contact eut pour effet d’apaiser quelque peu l’angoisse de Blodeuwen. Elle cessa de pleurer et, après avoir hésité un instant, reprit : « Je ne sais si je dois te conter mes malheurs, car j’ai peur de troubler ton repos. – Parle, je t’en prie, douce amie, répondit Perceval qui se sentait envahi d’une étrange langueur. – Voici, seigneur : sache que je vis en ce moment ma dernière nuit. Je ne verrai pas d’autre jour que celui qui vient, car je compte me tuer de ma propre main. Des trois cent dix chevaliers qui tenaient garnison dans cette forteresse, il ne m’en reste que cinquante. Les autres, c’est Kengrun, le sénéchal du perfide Clamadeu des Îles, qui les a tués ou les a emmenés pour les jeter dans d’obscurs cachots. Je déplore tout autant le sort des prisonniers que celui des morts, car, de toute manière, ils mourront un jour ou l’autre, je le sais. Et comme c’est pour moi que ces braves gens ont péri ou subissent tant d’avanies, comment n’en serais-je pas désespérée ? Voilà un long hiver et un long été que, sans jamais s’éloigner, Kengrun nous tient assiégés. Il a déjà dévasté toutes les autres forteresses que je tiens de mon père, et il ne lui reste plus à soumettre que Caerbeli. De jour en jour, ses forces se sont accrues, tandis que les nôtres s’amenuisaient. Hélas ! nos vivres sont épuisés : il n’en reste même pas pour le déjeuner d’une abeille. Et demain, si Dieu ne nous vient en aide, nous devrons rendre la place, car nous ne pouvons plus nous défendre. Tel est le sort qu’il nous faudra subir. Et moi, infortunée, je serai livrée avec la forteresse, car Clamadeu des Îles a proclamé partout qu’il ferait de moi son amie, que je le veuille ou non. Mais cela ne se fera pas. On ne me prendra pas vivante, car je me tuerai avant, ne lui laissant que mon cadavre. Clamadeu, qui me veut, n’embrassera jamais qu’un corps sans âme et sans vie. Dans un écrin, je conserve un couteau à fine lame d’acier dont je saurai bien me servir. Voilà, je t’ai tout dit, seigneur. Maintenant, je vais regagner ma chambre et te laisser reposer.
— Non pas, dit Perceval, reste avec moi, s’il te plaît, douce amie. Il n’est pas l’heure de faire triste visage. Remets-toi, sèche tes pleurs et viens te blottir dans mes bras. Je t’en prie ; plus de larmes. Dieu, crois-moi, te donnera un meilleur lendemain que tu ne le prévois. Il ne sera pas dit que je
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