Perceval Le Gallois
s’écria Perceval, fort irrité par l’arrogance du sénéchal. Il n’en ira pas comme tu le crois. Tu n’auras ni la terre ni la forteresse, et Blodeuwen ne sera pas soumise à ton maître. Renonce à tes folies, rassemble tes hommes et va-t’en d’ici au plus tôt ! – Certes, dit avec rage Kengrun, voilà des paroles bien déplacées, par saint Pierre ! Je ne t’ai jamais vu par ici. Je me demande bien pourquoi tu viens me narguer. Disparais de ma vue si tu ne veux que l’innocent paie pour le coupable ! – En voilà assez ! », s’écria Perceval en abaissant sa lance.
Alors, les deux hommes se précipitèrent l’un sur l’autre de toute la vitesse de leur cheval, l’un et l’autre en proie à une vive irritation. Leurs lances volèrent en éclats. Malgré son bouclier, Kengrun fut blessé au bras et à l’épaule. Ressentant une violente douleur, il tomba de son cheval. Le jeune Gallois, qui était resté ferme sur sa monture, fut un instant embarrassé, mais il sauta bientôt à terre, tira son épée et la brandit sur le sénéchal. Celui-ci tenta de se relever, mais Perceval le pressait si rudement qu’il retomba. « Grâce ! », cria-t-il. Perceval se trouvait dans un tel état de fureur qu’il n’était guère disposé à lui accorder la vie. Mais, se souvenant de ce que lui avait dit Gornemant, il releva son épée, après une seconde d’hésitation.
« Seigneur, reprit le sénéchal, ne sois pas cruel envers moi. Je reconnais que tu es un bon chevalier et que tu as eu le dessus. Mais qui nous a vu lutter et nous connaît tous deux, comment croirait-il qu’à toi seul, et à l’aide de tes seules armes, tu m’aies tué en combat singulier ? Personne n’y ajouterait foi. Tandis que si je témoigne en personne que tu m’as vaincu par les armes en présence de tous mes gens, devant ma propre tente, on en croira ma parole, et ta valeur sera reconnue de tous, car jamais chevalier n’aura pu à plus juste titre s’enorgueillir de sa prouesse. Si tu as un seigneur qui t’ait fait quelque bien ou t’ait rendu service, sans que tu aies pu jusqu’à présent reconnaître ses bienfaits, envoie-moi à lui : je lui dirai ta victoire et m’en remettrai à lui de mon sort.
— Par ma foi, dit Perceval, c’est probablement la première fois de ta vie que tu prononces des paroles sensées. Au diable qui demanderait mieux ! Eh bien, soit ! Je te fais grâce, à condition que tu ailles dans cette forteresse te jeter aux pieds de celle qui la possède en toute justice et que tu prétendais dépouiller de tous ses biens. Et tu lui jureras que, plus jamais, tu ne lui causeras le moindre dommage. À elle de décider de ton sort ! – Mais c’est ma mort que tu veux ! gémit le sénéchal. Elle me fera tuer. C’est son désir le plus ardent. J’étais de ceux qui ont tué son père, et j’ai moi-même tué ou fait prisonniers bon nombre de ses chevaliers. Je sais qu’elle me hait plus que tout au monde. Je t’en prie, si tu as un autre ami, envoie-moi à lui, et je ferai comme je t’ai dit ! »
Après avoir réfléchi, Perceval lui désigna Gornemant de Goort, dont il lui décrivit la forteresse mieux que n’eût fait un maçon, lui en vantant les eaux profondes, le pont, ainsi que les tourelles et la tour. Mais le sénéchal se récria : « Certes, tu prétends me faire grâce, mais tu n’as qu’un désir, m’envoyer à la mort. Dieu me pardonne, mais tu veux me mettre en de très mauvaises mains. L’homme auquel tu me pries d’aller confier mon sort, j’ai tué l’un de ses frères en combat singulier. Seigneur, tue-moi tout de suite plutôt que de m’envoyer chez lui. Aussi sûr que je te parle, il me fera exécuter.
— Dans ce cas, dit Perceval, tu iras te constituer prisonnier chez le roi Arthur. Tu salueras de ma part le roi et la reine, et tu leur demanderas de te montrer le nain et la naine qu’a injuriés l’Homme Long qui se trouve toujours à leur cour. Et, après leur avoir conté comment je t’ai vaincu, tu ajouteras que je ne regagnerai la cour que je n’aie vengé l’outrage fait au nain et à la naine. – Qu’il en soit ainsi, répondit Kengrun. Je le jure sur mon âme, je t’obéirai en tout point, dût-il m’en coûter fort cher. » Le sénéchal se releva péniblement et, après avoir ordonné à ses gens d’emporter son étendard et de lever le siège, il enfourcha son cheval et s’en fut.
Quant au vainqueur, il retourna
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