Perceval Le Gallois
Aussitôt, les gens de la forteresse ouvrirent la porte toute grande, sur ordre de Perceval, car celui-ci voulait s’élancer le premier afin d’accueillir les assaillants comme il convenait. En chevalier hardi et fier, il se rua sur eux et les attaqua tous ensemble. À l’un, il transperça la poitrine, à l’autre, il rompit le bras, à un troisième, il brisa la clavicule, et il en renversa plusieurs qui, rampant à terre, imploraient sa grâce. En quelques instants, la plupart de ceux qui se croyaient vainqueurs furent faits prisonniers, tandis que les autres s’enfuyaient de toute la vitesse de leurs montures.
C’est alors qu’apparurent, au sommet de la colline qui dominait le vallon, les quatre cents chevaliers et les mille sergents de Clamadeu des Îles. En voyant la débâcle des leurs, ils se lancèrent en une masse furieuse vers la porte de la forteresse qui était demeurée grande ouverte. Là se tenaient les assiégés, en rangs serrés, prêts à recevoir durement leurs adversaires. Mais comme ils n’étaient qu’une poignée, force leur fut de reculer sous la poussée des cavaliers que secondaient les gens de pied, et ils rentrèrent dans la forteresse sans avoir le temps d’en fermer la porte. Aussi les assaillants se précipitèrent-ils à l’intérieur. Mais alors, depuis le haut des murailles, les défenseurs firent retomber si lourdement la lourde herse que celle-ci écrasa et tua tous ceux qui se trouvaient dessous, tandis que les archers vidaient leurs carquois sur les hommes de Clamadeu. Jamais celui-ci n’avait vu spectacle plus douloureux : assuré de son triomphe quelques instants auparavant, il prit brusquement conscience que ses gens étaient tombés dans un piège mortel. Quant à la porte qui lui avait massacré tant de valeureux chevaliers, elle était désormais si solidement refermée qu’aucun assaillant n’aurait pu la franchir. Aussi Clamadeu ordonna-t-il à ses troupes de ne pas insister et de regagner leur camp.
Là, il réunit ses conseillers pour les consulter sur la meilleure tactique à suivre. Le chevalier chenu qui avait été son maître prit le premier la parole et dit : « Seigneur, ce n’est pas merveille s’il advient malheur à un homme plein de sagesse. Selon qu’il plaît à Dieu, chacun a la chance pour lui ou contre lui. Tu as perdu la partie, manifestement, mais il n’est pas de saint qui n’ait sa fête. L’orage s’est abattu sur toi aujourd’hui. Les tiens ont beaucoup souffert, et ceux du dedans raflé le gain de la journée. Mais fais-moi confiance : un temps viendra où ceux-ci perdront à leur tour. Fais-moi crever les yeux si, dans deux jours, ils ne se voient contraints de solliciter ta clémence. Demeure seulement ici aujourd’hui et demain sans cesser d’encercler la forteresse, et tout le pays t’appartiendra. Quant à la femme qui a refusé si longtemps de partager ta couche, elle te suppliera au nom de Dieu de l’y accueillir. – Tu as raison, répondit Clamadeu. Je ne vois pas pourquoi j’abandonnerais la partie quand ceux du dedans sont faibles et ne peuvent compter sur aucun ravitaillement. »
Clamadeu fit alors dresser les tentes et disposa ses hommes autour de la forteresse. À l’intérieur, Perceval fit désarmer les prisonniers, mais il refusa de les enfermer dans des cachots : de chacun d’eux, il exigea qu’il prêtât serment de ne pas chercher à s’enfuir et de ne plus jamais prendre les armes contre les hommes de Blodeuwen. Tous jurèrent avant de se regrouper en un lieu d’où ils pouvaient observer la suite des événements.
Or, ce même jour, un grand vent avait égaré sur la mer un navire alourdi de blé et de vivres divers. Et, le sort voulu qu’il vînt aborder intact sur le rivage, juste en face de la forteresse. Dès qu’on s’en aperçut, chacun courut au port pour savoir de quoi il retournait. « Seigneurs, répondirent les gens du bateau, nous sommes des marchands qui apportons des provisions. Nous avons à vendre du pain, du lard salé et, s’il en était besoin, quantité de bœufs et de porcs bien gras, ainsi que du vin en abondance. » Les gens de Blodeuwen ne se tinrent plus de joie. « Béni soit Dieu qui a donné au vent la force de vous pousser jusqu’ici ! s’écrièrent-ils. Débarquez vos marchandises ! Nous les achetons toutes, quel que soit votre prix, nous vous les paierons en belles pièces d’argent et en lingots d’or pur. Car, grâce au Ciel, si nous
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