Perceval Le Gallois
t’aurai laissée dans ta détresse sans entreprendre de te défendre contre les persécuteurs et contre l’homme qui veut posséder ta beauté. » Et, ce disant, Perceval la couvrait de baisers. Blodeuwen se laissait faire, et l’ardeur croissante des baisers ne manqua point de la réconforter et de lui rendre l’espérance. Après les baisers vinrent les caresses, et après les caresses le jeu coutumier aux amants qui s’accordent. Ainsi furent-ils toute la nuit, flanc contre flanc, bouche contre bouche, jusqu’au matin, lorsque le soleil émergea par-dessus les montagnes.
Alors Blodeuwen se leva, remit son manteau et regagna sa chambre sans réveiller personne. Sans aucune aide, elle se vêtit de ses plus beaux atours tandis que, dehors, ceux qui avaient veillé toute la nuit réveillaient ceux qui avaient dormi afin qu’ils prissent la relève sur les murailles. Blodeuwen s’en retourna vers la chambre du jeune Gallois. « Seigneur, dit-elle, que Dieu te donne le bon jour. M’est avis que tu ne t’attarderas pas ici : ce serait perdre ton temps. Tu vas nous laisser et je n’aurais garde de m’en attrister : je manquerais en effet à la courtoisie si je montrais regrets de ton départ. Et nous t’avons reçu si pauvrement ! Mais je prie Dieu qu’il te prépare pour ce soir un gîte meilleur, où tu puisses à discrétion trouver pain, vin, sel et toutes sortes de bonnes choses.
— Par ma foi ! s’écria Perceval, ce n’est pas aujourd’hui que je m’en irai chercher un autre logis que le tien ! Quand je le quitterai, j’aurai ramené la paix en tes domaines, si toutefois Dieu me le permet. Et si je trouve ton ennemi sous tes murs, je serai bien fâché de l’y voir rester plus longtemps. Il n’y est pas chez lui, que je sache, et s’il persiste dans son projet, je jure de le combattre jusqu’à ce qu’il soit tué ou qu’il s’avoue vaincu ! »
Blodeuwen vit que le jeune Gallois lui était tout acquis, et aussitôt l’espérance envahit son cœur. Mais, en fine mouche qu’elle était, elle n’en laissa rien paraître, et pour mieux s’assurer de la détermination de Perceval, elle tint à exprimer toutes ses réserves. « Certes, dit-elle, ce serait là une chose magnifique, et c’est de grand cœur que je deviendrais ainsi ton amie. Mais je ne veux pas que tu meures à cause de moi. Ce serait une grande pitié. Tu n’es pas d’âge, il me semble, ni de force à tenir contre un chevalier si grand, si fort et si expérimenté que celui qui attend sous nos murs. – Voire, riposta Perceval, et je t’en ferai instamment témoin, car je vais le combattre immédiatement, et nulle remontrance ne m’en empêchera. »
Il réclama ses armes, et les valets s’empressèrent autour de lui. Quand il fut vêtu, on l’aida à monter en selle et on ouvrit la porte. Personne, parmi ceux qui se trouvaient là, ne pouvait s’empêcher de redouter l’avenir. « Seigneur, disaient-ils, que Dieu t’assiste en ce jour et châtie Kengrun, le maudit sénéchal qui a saccagé tout notre pays ! » Et tous de pleurer en le conduisant à la porte puis, une fois Perceval dehors, de s’écrier : « Beau seigneur ! que la Croix sur laquelle Jésus souffrit tant de maux te garde aujourd’hui de la mort ou de la prison et te ramène sain et sauf en tel lieu qu’il te plaise ! »
En voyant approcher Perceval, les assiégeants le désignèrent à Kengrun qui était assis devant sa tente, convaincu qu’on lui rendrait la forteresse avant la nuit, si quelqu’un n’en sortait pour le combattre corps à corps. Déjà, il avait lacé ses chausses, et ses gens menaient grande joie, car ils pensaient achevée leur conquête du pays. Kengrun se fit donc armer à la hâte, enfourcha un cheval puissant et nerveux et, se dirigeant vers Perceval, lui cria : « Valet ! que viens-tu faire ici ? Qui t’envoie, et dans quelle intention ? Viens-tu demander la paix ou la bataille ? »
Perceval s’arrêta devant le sénéchal. « Et toi, que fais-tu ici ? Tu n’as aucun droit d’y rester, car cela n’est pas ton domaine. Pourquoi as-tu tué les chevaliers de Blodeuwen et pourquoi as-tu ravagé sa terre ? – Je n’ai que faire de te répondre sur ce point. Je veux qu’aujourd’hui même on vide la forteresse et me livre la terre. J’ai déjà trop attendu. Quant à Blodeuwen, elle doit revenir à mon seigneur. – Au diable pareil discours, et au diable qui le prononce !
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