Perceval Le Gallois
la maison. Il se leva, revêtit ses armes, harnacha son cheval et se rendit tranquillement dans la prairie. Pendant ce temps, la femme d’un certain âge et la jeune fille étaient allées trouver l’homme aux cheveux gris : « Seigneur, dirent-elles, prie le jeune homme de te faire le serment qu’il ne révélera rien de ce qu’il aura vu ici, et laisse-le repartir sain et sauf. Nous lui servirons de cautions. – Non, répondit l’homme aux cheveux gris, mes gens me le reprocheraient. »
Perceval affronta donc toute la troupe, et ce pendant la journée entière. Vers le soir, il en avait tué un tiers sans qu’aucun de ses adversaires lui eût fait le moindre mal. La femme d’un certain âge dit alors à l’homme aux cheveux gris : « Seigneur, il a tué nombre de tes gens et prouvé sa valeur. Fais-lui grâce. – Cela ne peut être, répondit l’homme. Il se battra jusqu’à ce qu’il soit lui-même tué. » Et ce soir-là, comme si de rien n’était, il convia Perceval à partager son repas puis, l’heure venue, tous allèrent se coucher. Comme la veille, la jeune fille avait fait en sorte que les armes et le cheval de Perceval fussent dans le même logis que lui.
Le lendemain matin, la femme d’un certain âge et la jeune fille se rendirent sur les remparts et, à travers les créneaux, regardèrent le combat. Soudain, Perceval se trouva face à face avec le jeune homme blond et, d’un seul coup d’épée, le tua. « Seigneur, dit la jeune fille à l’homme aux cheveux gris, fais grâce à ton hôte ! – Cela ne peut être ! répondit-il. Il combattra jusqu’à la mort. » Aussitôt après, Perceval se trouva face à face avec le jeune homme brun et, d’un seul coup d’épée, le tua de même. La femme d’un certain âge dit alors à l’homme aux cheveux gris : « Que n’as-tu accordé ta grâce à ton hôte avant qu’il n’eût tué tes deux fils ! À peine pourras-tu lui échapper toi-même, à présent. » L’homme aux cheveux gris dit alors à la jeune fille : « Va le trouver, toi, et prie-le de nous accorder sa grâce, encore que nous la lui ayons refusée ! »
La jeune fille se rendit auprès de Perceval. « Jeune homme à qui j’ai donné mon amour, écoute-moi, je t’en conjure, au nom de l’amour que je te porte. Bien que mon père ait été injuste et cruel envers toi, accorde-lui grâce, à lui et à tous les hommes qui sont encore en vie. – J’y consens, répondit Perceval, mais à condition que ton père et tous ses vassaux aillent prêter hommage au roi Arthur et lui dire que c’est Perceval le Gallois qui les a vaincus. – Sur ma tête, je t’assure que nous le ferons. – Ce n’est pas tout, reprit Perceval. Puisque vous n’êtes pas chrétiens, j’exige que vous alliez tous en une église vous faire baptiser. – Nous le ferons, je te l’assure », dit la jeune fille. Et, sans plus tarder, elle alla rendre compte de son entretien à son père.
Lorsque le Gallois entra dans la salle, la femme d’un certain âge et l’homme aux cheveux gris lui adressèrent leurs saluts. Ce dernier lui dit : « Depuis que je possède cette vallée, tu es le premier chrétien que j’aie vu s’en retourner en vie. Jeune homme, je dois rendre hommage à ta vaillance et à ton courage. Ainsi que tu le désires, nous irons prêter hommage au roi Arthur et nous recevrons le baptême. – Dans ce cas, répondit Perceval, j’enverrai un messager à Arthur pour le prier de te faire don de cette vallée, à toi et à tes héritiers pour toujours, après toi. – Grâces t’en soient rendues, jeune homme. Tu es aussi généreux que téméraire. – Moi, dit Perceval, je rends grâces à Dieu de n’avoir pas violé mon serment à la femme que j’aime le plus : j’avais juré de ne pas dire un seul mot à aucun chrétien avant qu’elle ne m’avoue pour l’homme qu’elle aime le plus au monde. » Cette nuit-là, Perceval demeura dans la maison de l’homme aux cheveux gris et, le lendemain matin, malgré les larmes de la jeune fille, il prit congé de ses hôtes, sauta sur son cheval et quitta la Vallée Ronde.
Sans plus tarder, l’homme aux cheveux gris et tous ses gens prirent la route pour se rendre auprès d’Arthur. Une fois arrivés à Kaerlion sur Wysg, ils allèrent sur-le-champ se présenter au roi et lui racontèrent tout ce qui s’était passé, sans rien omettre et en précisant bien que c’était Perceval le Gallois qui les
Weitere Kostenlose Bücher