Perceval Le Gallois
tout-puissant ! s’écria celle-ci en le voyant, c’est grande pitié que tu ne puisses parler ! Si je le pouvais, je t’aimerais plus que nul homme au monde. Oui, par ma foi, et bien que tu ne puisses me répondre, je suis certaine que je t’aimerai comme je n’aimerai jamais nul autre ! – Dieu te le rende ! répondit Perceval. Me voici délié de mon serment, à présent que tu as avoué devant tout le monde que tu m’aimais. Sur ma foi, sache que je t’aime, moi aussi. » Angharad reconnut alors Perceval, et tous ceux qui étaient là de même. Et Perceval demeura avec eux à la cour d’Arthur.
Un jour, le roi s’en fut à la chasse avec quelques-uns de ses fidèles compagnons. Il y avait là Yvain, fils du roi Uryen, Bohort, roi de Gaunes et le cousin de Lancelot, son frère Lionel, Kaï, le sénéchal, Girflet, fils de Dôn, ainsi que Perceval le Gallois. Ce dernier lança son chien sur un cerf qui s’enfuit à travers les bois. Il le poursuivit de toute la vitesse de son cheval, mais il perdit la trace du chien et se retrouva dans un endroit désert. Cependant, à quelque distance devant lui, il aperçut à travers les branches une habitation vers laquelle il se dirigea.
Il s’agissait d’une vaste bâtisse noire dans une clairière. Perceval y entra et se retrouva dans une grande salle. Près de la porte, trois valets chauves et basanés jouaient aux échecs, qui ne levèrent même pas la tête lorsqu’il passa à côté d’eux. Au fond de la salle, il aperçut trois jeunes filles assises sur une couche, toutes trois vêtues de la même manière, et comme des personnes de qualité. Il alla s’asseoir auprès d’elles, sur le rebord de la couche. Après l’avoir contemplé longuement, l’une d’entre elles se mit à pleurer.
Perceval lui demanda : « Quelle est la cause de ton chagrin, jeune fille ? – Une grande tristesse s’empare de moi quand je pense que sera tué un jeune homme aussi beau que toi. – Je ne vois pas qui pourrait me tuer, répondit Perceval. – S’il n’était dangereux pour toi de demeurer dans cette maison, reprit-elle, je te le dirais et t’accueillerais avec une grande joie. – Quoi qu’il puisse m’arriver de fâcheux en m’attardant dans cette maison, je veux savoir quel danger me menace. Parle, je t’écouterai volontiers. – Seigneur, dit-elle, mon père est le maître de cette maison, et il tue tous ceux qui y viennent sans sa permission. – J’ai déjà connu cela ! s’écria Perceval. Mais, dis-moi, jeune fille, toi qui me parais si belle et si désirable, quelle espèce d’homme est donc ton père pour vouloir ainsi tuer tous ceux qui viennent ici sans sa permission ? – Un homme sans pitié, qui opprime tous ses voisins sans jamais faire réparation à quiconque. »
À ce moment, Perceval vit les jeunes gens de l’entrée se lever précipitamment et débarrasser l’échiquier de toutes ses pièces. Il entendit un furieux vacarme et, aussitôt après, pénétra un homme grand, noir, et qui était borgne. Les jeunes filles se précipitèrent toutes les trois pour le défaire de ses armes avant de le revêtir d’un long manteau brodé de fils d’or. Il alla s’asseoir, et quand il se fut reposé un instant, il jeta les yeux sur Perceval. « Qui est cet homme ? demanda-t-il d’un ton plein de colère. – Seigneur, dit la jeune fille qui avait parlé à Perceval, c’est le jeune homme le plus beau et le plus noble que tu aies jamais vu. Je t’en prie, pour l’amour de Dieu et pour ton honneur, modère-toi en sa faveur. – Pour l’amour de toi, répondit le borgne, je me montrerai modéré envers lui. Je lui accorde la vie sauve pour cette nuit. »
Perceval les rejoignit donc auprès du feu, et tous devisèrent jusqu’au moment où l’on dressa les tables. Alors, ils se lavèrent les mains et commencèrent à manger et boire. Quand il eut la tête échauffée par la boisson, Perceval dit à l’homme noir : « Je suis étonné que tu te prétendes aussi fort, car tu es borgne et, à mon avis, c’est une faiblesse. – On peut très bien voir d’un seul œil, répondit l’autre, il suffit de savoir ce qu’on veut. – J’aimerais bien savoir qui t’a privé d’un œil, reprit Perceval avec insolence, car je n’ai jamais rencontré personne qui se vantât d’être borgne ! » L’homme noir lui décocha un regard plein de haine. « Une de mes habitudes, répondit-il, est de ne laisser en vie aucun
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