Perceval Le Gallois
reposer jusqu’au jour avant de reprendre notre voyage. – Volontiers. » Ainsi firent-ils. Érec descendit de cheval et aida Énide à descendre du sien. « Je suis si fatigué, dit-il, que, pour rien au monde, je ne saurais m’empêcher de dormir. Toi, tu vas veiller sur les chevaux. Surtout, ne t’endors pas ! – Je le ferai, seigneur », répondit-elle.
Érec s’endormit donc sans même avoir retiré son armure et passa ainsi la nuit, qui n’était pas longue à cette époque de l’année. Quand Énide aperçut les premières lueurs de l’aube, elle tourna ses yeux vers son mari pour voir s’il dormait. Au même moment, il se réveilla, se leva et dit : « Femme, rassemble les chevaux et pousse-les devant toi. Tu me précéderas de loin, comme tu l’as fait hier. »
Le jour était déjà passablement avancé quand, sortant du bois, ils parvinrent dans une plaine. Dans les prairies qui bordaient les deux côtés de la route, des vilains fauchaient le foin. Au-delà, les voyageurs se trouvèrent devant une rivière. Érec fit descendre les chevaux sur la berge, et quand ceux-ci se furent abreuvés longuement, il donna le signal du départ. Après avoir gravi une pente assez raide qui les mena sur un plateau dénudé, ils rencontrèrent un tout jeune homme mince, élancé, qui, autour du cou, portait une serviette où se trouvait quelque chose, ils ne savaient quoi, et, à la main, une petite cruche bleue ainsi qu’un bol rouge. Le jeune homme salua Érec. « Dieu te garde, répondit ce dernier, d’où viens-tu ? – De la ville que tu vois là-bas, droit devant. Trouverais-tu inconvenant, seigneur, que je te demande d’où tu viens toi-même ? – Non, répondit Érec. Nous avons traversé ce bois, là-bas. – Ce n’est pas aujourd’hui que vous l’avez traversé. – Non, certes. Nous y avons passé la nuit dernière. – Je suppose, dit le valet, que votre situation n’a pas dû être bonne hier soir. Vous n’avez pu ni manger ni boire. – Non, certes, par Dieu tout-puissant ! s’écria Érec. – Dans ce cas, dit le valet, veux-tu suivre mon conseil ? Accepte de moi ce repas. – Quel repas ? – Celui que j’apportais à ces faucheurs, là-bas, soit du pain, de la viande et des fromages gras, ainsi que du vin frais. Ces faucheurs sont si bien nourris d’habitude qu’ils peuvent se passer de manger aujourd’hui.
— J’accepte volontiers ton offre, répondit Érec. Dieu t’en récompense ! » Il descendit de son cheval, tandis que le valet aidait Énide à descendre du sien. Ils se lavèrent les mains et commencèrent à se restaurer. Le valet coupa le pain en tranches, leur distribua la viande et le fromage, leur versa à boire et les servit du mieux qu’il pouvait. Quand ils eurent fini, le valet dit à Érec : « Seigneur, avec ta permission, je vais retourner en ville. – Va, répondit Érec, puisque tu le dois. Mais profite de l’occasion pour me retenir un gîte dans le meilleur endroit que tu connaisses et où les chevaux soient le moins à l’étroit. En récompense de ton service, tu prendras le cheval et l’armure que tu voudras. – Dieu te le rende ! Ce présent suffirait à payer un service autrement précieux que le mien ! »
Le valet se rendit donc en ville et y retint le logement le meilleur et le plus confortable qu’il put trouver pour Érec et pour Énide. Puis, avec les armes et le cheval qu’il avait reçus pour prix de son service, il se rendit auprès du comte et lui conta toute l’aventure. « Seigneur, lui dit-il ensuite, je vais retrouver le chevalier pour lui indiquer où se trouve son logis. – Va, dit le comte, mais dis à ce chevalier que, s’il le désirait, il trouverait chez moi fort bon accueil. »
Le valet retourna donc auprès d’Érec et l’informa du gîte qu’il lui avait réservé. Il ajouta toutefois que le comte aurait désiré l’accueillir à sa cour. Mais Érec préféra se contenter de son logement. Le valet les conduisit, Énide et lui, jusqu’à l’hôtellerie où il avait conclu affaire. Érec y trouva une chambre confortable et une écurie vaste et commode pour les chevaux. Le valet veilla d’autant mieux à ce qu’ils fussent dûment servis qu’il voulait témoigner davantage de gratitude à Érec pour en avoir reçu un si beau présent.
Une fois désarmé, Érec dit à Énide : « Va de l’autre côté de la chambre et laisse-moi seul de ce côté-ci. Si tu le désires, mande la
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