Perceval Le Gallois
j’obtiendrai satisfaction ! »
Sans plus de paroles, ils se précipitèrent l’un sur l’autre. Érec ne trouva que désagrément à combattre cet adversaire qui, en raison de sa petite taille, se déplaçait avec autant de souplesse que de légèreté tout en faisant preuve d’une grande force. Une fois que tous deux eurent vidé leurs étriers, ils combattirent à pied, se donnant mutuellement des coups rapides et irrités, rudes et vaillants, forts et cuisants. À la fin, tout en sueur et en sang, Érec entra dans une telle fureur que, rassemblant toutes ses forces, il brandit son épée de manière qu’il atteignit l’autre à la tête avec une violence qui lui brisa le heaume et lui fit lâcher son épée. Gwiffret le Petit, car c’était lui, demanda grâce. « Tu l’auras, répondit Érec, en dépit de ton manque de courtoisie et de politesse, mais à condition d’être désormais mon compagnon, de ne jamais rien entreprendre contre moi et de me venir en aide si je me trouve dans la peine. – Je te le promets, dit le vaincu. Maintenant, je t’en prie, viens jusqu’à ma cour qui est dans la ville, afin de te remettre de tes fatigues et de tes blessures. – Par Dieu ! s’écria Érec, certes, je n’irai point ! » Mais le Petit, apitoyé qu’une créature aussi noble qu’Énide dût supporter des fatigues si excessives, se permit d’insister. « Seigneur, reprit-il, tu as tort de ne pas vouloir prendre de repos. Dans l’état où je te vois, s’il te survient une aventure périlleuse, tu seras incapable d’en venir à bout. » Érec s’obstina néanmoins à continuer son voyage.
Après avoir pris congé de Gwiffret le Petit, il se remit donc en selle, couvert de sang et perclus de blessures, tandis que la jeune femme reprenait son avance. Ils se dirigèrent ainsi vers un bois qu’ils apercevaient devant eux. La chaleur était grande, et les armes, vu la sueur et le sang, collaient à la peau d’Érec. Dans le bois, il dut s’arrêter sous un arbre, tant la douleur devenait intolérable. Quant à Énide, elle se tenait sous un autre arbre, n’osant aller vers son mari, de peur de le mettre en colère et de redoubler ses souffrances.
Là-dessus, ils entendirent le son des cors et le tumulte d’un grand rassemblement : c’étaient Arthur et sa suite qui descendaient dans le bois. Érec hésitait sur la route à prendre afin de les éviter lorsqu’un homme à pied – le valet de l’intendant de la cour – l’aperçut, alla trouver son maître et lui décrivit le chevalier entrevu dans le bois. L’intendant fit équiper son cheval, prit sa lance et son bouclier et se rendit auprès d’Érec. « Chevalier, lui dit-il, que fais-tu donc ici ? – Je prends le frais, de manière à m’épargner l’ardeur du soleil. – Eh bien, suis-moi auprès du roi Arthur. Tu seras plus à ton aise dans son pavillon. – Je n’irai pas, dit Érec. – Il te faudra cependant venir, tu le dois. – Je n’irai pas ! » répéta Érec avec obstination. Sans plus insister, l’intendant regagna le camp d’Arthur et y rencontra Yvain, fils du roi Uryen. « Seigneur, dit-il, il y a dans le bois un chevalier blessé. Son armure est en piteux état, et il refuse de venir ici. Tu ferais bien d’y aller voir. »
Yvain prit sa lance et son bouclier, enfourcha son cheval et se rendit auprès d’Érec. « Chevalier, lui dit-il, quel voyage fais-tu ? – Celui que je veux ! répondit Érec d’un ton maussade. – Me diras-tu du moins qui tu es ? reprit Yvain, et m’accompagneras-tu auprès du roi Arthur ? Il se trouve tout près d’ici. » Érec, qui avait bien reconnu Yvain, sans qu’Yvain, lui, l’eût reconnu, s’exclama : « Laisse-moi tranquille ! Je n’irai pas voir Arthur. – Je saurai bien t’y obliger ! » s’emporta Yvain. Et, d’un coup de lance, il frappa le bouclier d’Érec si rudement que celui-ci vola en éclats. Puis, l’examinant avec davantage d’attention, il le reconnut. « Érec ! s’écria-t-il. Que t’est-il donc arrivé, cher compagnon ? – Je ne suis pas Érec et ne veux pas voir le roi Arthur ! » répéta Érec avec entêtement.
Yvain se tourna alors vers Énide et la reconnut. « Belle amie, lui dit-il, que se passe-t-il donc ? – Il est blessé, malade et n’a pas tout son bon sens », répondit-elle. Yvain piqua des deux et s’en alla droit auprès d’Arthur. « Roi, dit-il, je viens de voir Érec, le fils d’Erbin,
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