Pour les plaisirs du Roi
figurait une certaine comtesse de Béarn, dont M. de Richelieu avait déjà entendu parler pour un long et coûteux procès qu'elle soutenait contre un membre de sa propre famille. Je décidai d'aller la visiter.
La comtesse de Béarn ne logeait pas au château, où elle n'avait pas trouvé de place, mais dans un minuscule appartement du centre de Versailles. Elle était veuve depuis à peine un an, parfaitement ruinée, et partageait le peu de rente qui lui restait avec un fils unique, officier dans l'armée du roi. Je m'annonçai de la part de la duchesse dont je viens de vous parler. Mme de Béarn cultivait le genre de ces familles gasconnes qui tirent une fierté de la décrépitude de leurs affaires. Sans le sou mais aussi arrogante qu'un mousquetaire de la maison du roi, la comtesse fit d'abord mine de ne pas entendre l'objet de ma requête. J'insistai un peu et je remarquai à un ou deux détails de sa conversation que la cuirasse avait des failles. Car il faut savoir qu'à cette fermeté d'âme louée par tant de chroniqueurs, le Gascon ajoute une avidité de mercenaire. Ici, ce n'est pas qu'on tente de vous acheter qui fait l'insulte mais la faiblesse du prix. On ne se vend pas pour une aumône, c'est ce que la comtesse de Béarn s'appliqua donc à m'expliquer par de savantes contorsions oratoires.
Je tenais enfin une piste. Il ne fallait pas la gaspiller : je décidai donc d'écourter notre entretien pour la convier à un souper chez Jeanne où, lui dis-je, elle pourrait mieux se rendre compte des avantages de ma proposition. Elle accepta – un Gascon ne refuse jamais un bon repas –, m'avertissant toutefois qu'elle ne promettrait rien avant d'en avoir parlé à son fils. Elle se ménageait une porte de sortie.
Deux soirs plus tard, la comtesse de Béarn se glissa chez Jeanne comme une ombre. Elle arriva emmitouflée dans un grand manteau, le visage à moitié recouvert d'un châle, et pas uniquement pour se protéger du froid, vous pouvez l'imaginer. Mes sœurs étaient également de la partie. Jeanne n'eut pas à forcer son naturel pour se montrer une prévenante maîtresse de maison, tant elle était agréable à tous. La comtesse resta sur la réserve, épiant du coin de l'œil cette Mme du Barry dont elle avait évidemment déjà entendu dire beaucoup de mal. Chon tenta de l'amadouer en lui faisant remarquer qu'au fond nos deux familles étaient voisines, le Béarn ne se trouvant guère éloigné du terroir de Lévignac. Cela n'eut pas l'air de la dérider. Lorsque nous passâmes à table, je décidai d'aller à l'essentiel.
— Cher comtesse, vous savez combien il est important pour Mme du Barry de disposer d'un soutien comme le vôtre.
— Je comprends qu'il est utile pour Mme la comtesse de disposer d'un soutien, le mien ou un autre, répéta-t-elle sans lever le nez de son assiette.
— Je ne vous ferai pas l'injure d'ergoter à ce sujet, dis-je. Ce soutien lui sera effectivement très appréciable. Et apprécié par qui vous savez.
— Le roi n'est pas d'un naturel prodigue. Mon pauvre époux a quémandé une aide jusqu'à sa mort pour sauver notre illustre maison de la ruine et, voyez, j'attends toujours un geste, rétorqua la comtesse de Béarn.
— Aujourd'hui, Mme du Barry peut ouvrir les yeux du roi. Et lorsqu'il en sera averti, soyez assurée qu'il regrettera son ingratitude et vous en remboursera généreusement.
— Qui me l'assure ?
— Le roi, madame, dit Jeanne d'un ton de reine qui me surprit tout autant que Mme de Béarn.
La comtesse leva les yeux de son assiette et considéra Jeanne un long moment.
— En cette affaire, madame, le roi ne peut presque rien. C'est un des rares privilèges des femmes dans cette Cour que de pouvoir décider de celles qui y figureront à leurs côtés. Moi-même je fus présentée voilà quelques années par la duchesse d'Aiguillon. Aujourd'hui, vous sollicitez de ma part un service qui m'aliénera la bonne compagnie de toutes mes amies.
— Le roi ne laissera pas faire cela, intervint Chon.
— Le roi, chère madame, ne saurait aujourd'hui rompre l'isolement de Mme du Barry, alors imaginez pour moi…
— Nous savons la difficulté de la tâche que nous vous proposons, repris-je. Toutefois, il y a des moyens d'en alléger le poids.
— J'entends, monsieur le comte, j'entends. C'est d'ailleurs pour cela que je suis ici. Parlons un peu de ces moyens.
— C'est à vous de nous dire.
La comtesse se cala bien au fond de son
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