Pour les plaisirs du Roi
attendre : Chon et Bischi pointèrent leur museau chez moi un beau matin. Elles aussi avaient bien changé. En à peine trois années, les deux petites provinciales de Lévignac s'étaient muées en – presque – grandes dames de la Cour. Elles tenaient salon dans un appartement qu'on leur avait concédé, bien qu'elles passassent le plus clair de leur temps dans les jupes de Jeanne. Elles avaient également gratté une petite rente – dix mille livres chacune –, toutefois suffisante pour donner du charme à ces deux pies. Car je ne vous en ai pas prévenu, mais les deux s'étaient finalement dégoté des soupirants qui les avaient médiocrement déniaisées. Deux obscurs courtisans dont je ne me fendrai même pas des patronymes, tant ils ne vous diraient rien. Bref, Chon et Bischi promenaient désormais partout un petit air de triomphe qui s'ajoutait à l'indéniable aura que leur procurait leur proximité avec l'intimité de Jeanne et du roi. Tout cela, bien sûr, elles me le devaient entièrement, cependant n'attendez pas qu'elles m'en fussent reconnaissantes. Aujourd'hui encore, je suis toujours à jeun d'en entendre un merci. D'ailleurs, si elles me rendaient visite ce matin-là, c'était pour bien autre chose. Bischi ne s'embarrassa pas de préambule : — Il se dit un peu partout à Paris que tu as la plume déliée, ces temps derniers.
— Ah ? On dit cela ?
— Oui, et ailleurs aussi.
— Où donc ? À l'Académie ?
Bischi prit un air pincé.
— Non, Jean, à Versailles, répliqua Chon.
— Bigre…
— Chez le roi, ajouta Bischi d'un air de menace.
— Et alors ?
— Et alors, il faut que tu cesses ce manège, dit Bischi.
— J'aimerais comprendre de quoi vous me parlez…
— Nous savons, tu sais et Jeanne comme le roi savent qui est l'auteur des méchants sonnets qu'on chante un peu partout dans Paris.
— Fort bien. La reconnaissance de son talent est la plus belle rétribution pour un artiste. Surtout quand elle émane des siens, en plus du public, bien sûr.
— Cesse donc de faire le cynique. Tu joues un jeu dangereux, me rétorqua Bischi.
— Oh, oh… Voilà beaucoup de prévenance maintenant. Quelle estimable famille… Ça me réchauffe le cœur.
Bischi trépigna mais Chon prit la parole :
— Jean, il faut arrêter cette petite guerre. Jeanne s'inquiète de tout ce tapage.
— Et de moi, s'inquiète-t-elle ?
— Que veux-tu dire ?
— Depuis plusieurs mois, on a un peu oublié qui est le chef de famille. Je suis traité en paria. Je dois même subir les affronts de ce butor de Terray. Et maintenant, on vient me menacer dans ma maison, au prétexte de quelques chansons. Laissez-moi au moins cet innocent passe-temps.
— Ce n'est pas le moment de faire du scandale, reprit Chon. Tu compromets un puissant dessein.
— Pardon ? Un puissant dessein ? Et lequel, s'il vous plaît ?
— Nous ne pouvons en parler, siffla Bischi.
— On conspire dans mon dos, si je comprends bien.
— Tu le sauras lorsqu'il sera temps, ajouta Chon.
— C'est le monde à l'envers ! De qui se moque-t-on ! Qu'est-ce que ce nouveau complot ?
— Cela ne te concerne pas.
— Lorsqu'il s'agit de Jeanne, tout me concerne ! Maintenant, vous en avez trop dit. Expliquez-moi.
Chon et Bischi se consultèrent du regard quelques secondes.
— Si nous t'en parlons, promets-tu de te tenir plus sage ? demanda Chon.
— Si c'est mon intérêt.
— Ça l'est.
— J'écoute.
— Voilà, nous travaillons depuis quelque temps à affermir la position de Jeanne, commença Chon.
— J'ai déjà fait le nécessaire. Vous arrivez un peu tard…
— Tu as fait beaucoup, c'est vrai, mais Jeanne n'est jamais qu'une favorite.
— Eh, parbleu ! Quelques-unes voudraient l'être !
— Certes, pour le présent. Mais dans le futur ?
— Si elle ne me trahit plus, je m'en occupe.
— Jean, tu ne pourras pas toujours garantir ses intérêts et les nôtres, dit Chon.
— Je suis arrivé à tout cela sans vous, je saurai continuer, ne vous inquiétez pas.
— C'est toi qui la protégeras de la Dauphine ? Sans parler de quelques jeunettes qu'on pourrait mettre entre les bras du roi. Il n'y a pas qu'un roué dans Paris.
— Non, mais je suis encore assez puissant pour que vous veniez m'implorer de ne pas compromettre vos plans.
— Tu peux désormais plus de mal que de bien.
— Comme toujours, ajouta Bischi.
— Merci de vos compliments, mais cela ne me dit pas ce que vous manigancez.
Chon me regarda droit dans
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