Pour les plaisirs du Roi
l'empire de ce nouvel astre. À ce propos, il faut que je vous dise un mot de M. de Richelieu qui, comme moi, éprouva quelque amertume de l'ingratitude de Jeanne. En particulier lorsque M. d'Aiguillon fut nommé par le roi aux Affaires étrangères en remplacement de M. de Choiseul. Le duc de Richelieu reporta alors ses espoirs sur le prestigieux ministère de la Marine. Il n'y connaissait rien, cependant c'était à cette époque une qualité à faire valoir pour obtenir le poste. Là encore, il dut en rabattre car on choisit un magistrat, M. Bourgeois de Boyne, excellent pour cette fonction puisqu'il n'avait jamais vu la mer qu'en peinture. Et M. de Richelieu en conclut à raison qu'on ne l'aidait pas.
D'un heureux caractère, comme je vous l'ai déjà décrit, il n'en prit pas ombrage au point de se fâcher avec Jeanne, mais je sais qu'il entreprit dès 1772 de fréquenter assidûment les appartements de la Dauphine. On n'ignore pas que c'était là qu'on pouvait rencontrer le moins d'amis de Jeanne. La Dauphine Marie-Antoinette commençait d'ailleurs à se dégrossir, gagnant chaque jour un peu plus d'assurance et de grâce. La petite Autrichienne devenait française, mais surtout se transformait en femme. Pour autant, elle n'adressait toujours pas la parole à Jeanne – j'excepte la comédie diplomatique du jour de l'an 1772, où la Dauphine eut pour Jeanne une petite phrase qui fit le tour de l'Europe 30 . Encouragée dans ce mutisme par les filles du roi, elle avait converti son époux à sa cause.
Ce dernier, qui n'aimait rien moins que le scandale, préférait la chasse et son horlogerie aux intrigues de Cour. Destiné à devenir le roi de France, il s'y préparait chaque jour en priant le ciel de conserver Louis XV le plus longtemps possible sur le trône. Et je crois bien que s'il avait pu, il se serait volontiers déchargé de son droit d'aînesse sur un de ses deux frères cadets, dont je sais qu'ils sont bien plus intéressés de régner. Mais c'est ainsi.
À l'inverse, Marie-Antoinette, elle, n'oubliait pas qu'elle serait un jour reine de France. Les filles du roi le lui rappelaient fréquemment, en même temps qu'elles s'appliquaient à nourrir son ressentiment contre Jeanne. Tout était prétexte à critiquer Mme du Barry. Ses mœurs, ses amies, son esprit, son goût, ses toilettes, sa mine : rien n'échappait au fiel de Mesdames. La chose était de notoriété publique, et lors des soupers du roi ou des bals, l'intendance du château s'arrachait les cheveux pour concilier les deux partis. La Dauphine refusait d'honorer de sa présence presque toutes les soirées auxquelles Mme du Barry assistait. Et quand elle ne pouvait se dérober sans faire un affront au roi, elle envoyait le plus souvent son débonnaire époux qui, tout penaud, balbutiait qu'elle se sentait souffrante. La guerre ne trouvait pas de trêve et il flottait toujours sur Versailles comme un petit air d'orage qui menace. Je sais que le roi en fut très affecté, mais il aimait beaucoup la Dauphine, et supportait en silence qu'on lui gâchât son bonheur de vivre auprès de Jeanne. Dans ces conditions, il ne fallait pas espérer qu'il eût la force d'âme d'imposer à sa famille un remariage. D'ailleurs, le beau projet dont mes sœurs rêvaient connut un cinglant démenti à la moitié de l'année 1772. Le roi affirma en effet publiquement qu'il ne voyait aucun avantage pour un homme de son âge à contracter une nouvelle union.
Jeanne en fut tout alarmée, le roi la rassura, mais il ne fut plus jamais question de mariage. Le parti de ses filles avait gagné, au moins sur ce point. J'en conçus également une certaine satisfaction car je pus ainsi me consacrer pleinement à mon nouveau dessein.
Il n'y a de pécheur qui ne péchera à nouveau, est-il écrit quelque part dans les Saintes Écritures – à moins que je ne l'aie lu sur les murs d'un bordel. Depuis quelque temps déjà, une idée faisait son chemin dans mon esprit. Je vous explique. Vous connaissez le caractère du roi, je veux parler de sa nature intime. Les femmes le fascinaient, non pour ce qu'elles étaient, mais pour ce qu'elles soignaient en lui. À ce titre, Jeanne s'était taillé une place de choix, puisque sa médecine aidait le monarque à se sentir un homme. Cependant, il arrive souvent en ce cas que la potion réussisse trop bien. Le désir revenu aiguillonne alors les sens, en même temps qu'il incite à les éprouver ailleurs. Bref, puisque le
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