Pour les plaisirs du Roi
alors de violence. Bientôt, ce fut même un déluge qui s'abattit sur nous. D'un commun accord, nous restâmes en gilet. C'est assurément peu commode pour échanger des coups d'épée, mais cela garantit au survivant de ne pas périr d'un coup de froid. L'affaire pouvait maintenant débuter.
Vous le savez, mon adversaire se voulait un adepte du pistolet. Les premières passes me permirent de constater qu'il savait également tenir une épée. Il débuta par une série de coups de pointe qui m'obligèrent à parer du corps. À cinquante ans passés, j'étais encore fort leste, je vous l'assure. Je tâchai de rester en ligne, bien que mon adversaire continuât de me tourner autour. Mais bientôt, j'en eus un peu assez de faire admirer ma science de la volte, le sol étant d'ailleurs de plus en plus glissant. Je remarquai comment Kallenberg ouvrait singulièrement sa garde entre ses attaques. Et alors qu'il venait de me pousser en tierce, j'en profitai pour me fendre d'une violente pointe portée en haut de sa poitrine. Le résultat ne fut pas celui escompté. Kallenberg para aussitôt en quarte et me planta son fer sous le bras gauche, juste au-dessus du flanc. Heureusement, l'étoffe de mon gilet empêcha que la lame n'entrât trop profondément. Je restai debout, mais le coup avait été rude : mes témoins intervinrent. Le jeune homme déjà blessé demanda que le combat soit interrompu afin de constater la grièveté de ma blessure. M. de Kallenberg refusa tout net. Le traître prétexta qu'il était l'offensé, et que nous étions convenus d'aller à mort. Je le laissai dire, tout en rassurant mes témoins sur mon état. Les plus avertis de mes lecteurs savent comment il est important de rester bien concentré en soi-même lorsque l'on croise le fer. De toute façon, Kallenberg disait vrai au moins sur un point : l'un de nous deux devait en rester roide.
Ma blessure saignait assez abondamment, sans toutefois me faire trop mal. Je repris le combat. Kallenberg s'ingénia à porter ses attaques sur mon côté gauche, qu'il pensait douloureux. Ses assauts se firent tellement pressants que je manquai même trébucher sur le sol, où nos bottes s'enfonçaient maintenant. La pluie ne cessait pas et je commençais à sentir la fatigue m'envahir : il fallait hâter la fin. Je tentai quelque chose. Lors d'une nouvelle attaque, je reculai de plusieurs pas, affectant comme un étourdissement, puis je laissai tomber mes bras le long de mon corps, sans plus de défense. Kallenberg s'imagina alors ce que je voulais qu'il crût. « Dans un duel, ne jamais se penser vainqueur avant d'avoir vu tomber son adversaire », a coutume de dire M. de Richelieu. Une maxime fort militaire mais très juste. Kallenberg s'avança vers moi d'un bond, comme pour m'achever d'un dernier coup de pointe au cœur. Je le laissai venir jusqu'à presque me toucher, avant de tout à coup m'esquiver d'une volte. Il en fut décontenancé, et alors qu'il tentait de se remettre en garde, je lui enfonçai fermement mon épée dans le sein. L'espace de quelques secondes, Kallenberg resta comme figé. Un flot de sang lui envahit la bouche et noya son rictus. Il s'effondra sur lui-même.
Les témoins vérifièrent qu'il ne respirait plus. Un des gentilshommes s'enquit de savoir ce qu'il fallait faire de lui. Je répondis qu'on n'aurait qu'à signaler sa présence à la guérite des suisses, établie non loin de là, à Chaillot. Ils avaient l'habitude de ramasser les corps des duellistes malheureux. Il suffisait juste de leur préciser que la victime s'appelait M. de Kallenberg, chevalier de Malte. Les frères de son Ordre s'arrangeraient pour le reste. Ainsi fut fait.
J'étais trempé jusqu'aux os, et ma blessure commençait à se faire très douloureuse. Le gentilhomme aux airs de militaire me proposa de m'accompagner chez un médecin de ses amis, mais je déclinai son offre. On m'aida à me hisser sur ma monture, puis je saluai la compagnie, soucieux de rentrer vite chez moi. N'oubliez pas qu'on était peut-être déjà à ma poursuite. Dans ma maison, la gentille Flora m'aida à poser des pansements sur ma plaie. La lame de Kallenberg avait causé une entaille profonde d'au moins un pouce, toutefois le sang ne coulait plus, et je décidai de partir sans voir de médecin. Simon acheva de charger ma voiture : avant midi, je quittai avec lui la rue de la Jussienne. Nous passâmes les barrières sans encombre. Par prudence, je m'étais fait
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