Pour les plaisirs du Roi
rumeur du temps, et surtout d'après les mémoires de Mme Vigée-Lebrun, qui peignit le portrait de la comtesse de Cérès en 1784, la jeune épouse du comte du Barry fut un temps la maîtresse de M. de Calonne, le contrôleur général des Finances. Cela avec le consentement empressé de Jean du Barry, précise-t-elle. Je n'ai pu obtenir plus de détails sur ce fait, mais on admettra que le comte fut un incorrigible roué jusqu'à très tard…
33 On sait que le comte retourna souvent à Paris – voir note précédente –, mais qu'il ne connut plus le succès de ses jeunes années. Il faut donc sûrement le croire lorsqu'il avoue s'être lassé de cette vie.
34 J'ai visité plusieurs fois l'ancienne demeure du comte du Barry, à Toulouse. M. Arthur Young, dans son ouvrage Un voyage en France , en donne la description suivante en 1787 : « Au premier est un appartement complet, contenant sept ou huit chambres meublées avec tant de profusion et de dépense, que si un amant passionné, à la tête des finances du royaume, faisait faire des décorations pour sa maîtresse, il ne pourrait rien lui donner en grand qui ne se trouve ici en miniature. Pour ceux qui aiment l'or, il y a de quoi les satisfaire ; il y en a même tant que cela paraît trop chargé à l'œil anglais ; mais les glaces sont grandes et nombreuses ; la salle de compagnie fort élégante, la dorure exceptée. Il y a un portrait de Mme du Barry que l'on dit être fort ressemblant. Quant au jardin, il est même au-dessous du mépris, sinon comme un objet qui peut servir à faire voir aux hommes jusqu'où la folie peut aller. Dans l'espace d'un arpent, il y a des collines de terre, des montagnes de cartons, des rochers de toile ; des abbés, des vaches, des moutons, des bergères en plomb ; des singes et des paysans, des ânes et des autels en pierre, de belles dames et des forgerons, des perroquets et des amants en bois, des moulins et des chaumières, des boutiques et des villages en un mot, tout s'y trouve, excepté la nature. » J'ajoute que j'y ai vu également la réplique de la tombe de Jean-Jacques Rousseau…
L e matin du vendredi dix-sept janvier 1794 – 28 nivôse, An II –, Jean du Barry fut transféré de la prison de la Visitation au Tribunal révolutionnaire. Pour l'occasion, il s'habilla à l'ancienne mode, avec perruque, habit à la française, bas et chaussures à boucles. Il faisait froid et un brave gardien lui prêta un manteau avant de l'aider à monter dans la charrette des prévenus. Dans les rues de Toulouse, l'impression fut saisissante : on eût dit un personnage d'un autre temps. Les badauds le regardèrent passer en silence. Trois ou quatre individus seulement lui crièrent des injures. Arrivé au Tribunal, on le fit attendre deux bonnes heures dans une petite pièce en compagnie d'autres suspects que l'on devait juger. La salle d'audience était pleine : beaucoup de monde avait tenu à voir comment le roué se défendrait. Le pays se trouvait alors assiégé par les puissances de l'Europe réunies, et tout concourait à le désigner coupable d'intelligence avec l'ennemi. Les preuves étaient accablantes. Le président du Tribunal me prévint qu'il ne servait à rien de faire durer l'affaire : Paris voulait des têtes. Celle d'un du Barry valait son pesant de symbole.
Lorsque son tour fut venu, le comte entra dans la salle d'audience, appuyé au bras de son avocat. C'était un dénommé Barère, commis d'office à la cause des accusés. Il n'en sauvait jamais aucun. D'ailleurs, comment l'aurait-il pu ? Presque bègue, ne lisant pas les dossiers de ses clients, Barère laissait aux prévenus le soin de se défendre, et opinait toujours aux décisions du tribunal. J'ai souvent regretté cette pantomime, mais l'époque était ainsi. Le comte du Barry ne sembla pas ému de la nullité de son défenseur ; il écouta avec attention ma lecture de l'acte d'accusation. Je démontrai durant une demi-heure les preuves de sa culpabilité. À la fin, je réclamai la sentence suprême. Quelques applaudissements me saluèrent, et le président demanda au comte ce qu'il avait à répondre. Jean du Barry se leva, me regarda, considéra ensuite longuement la salle, puis se rassit sur son banc sans un mot. Le président réitéra sa demande. Le comte se contenta de le toiser, un franc sourire aux lèvres. Ce fut tout. On ne tira plus rien de lui. Quarante minutes après le début du procès, à midi exactement, le Tribunal condamna
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