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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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rencontre. La présentation fut tiède : le prince ne quittait pas son expression ennuyée ce qui ne m'incita pas à faire meilleure figure. Ce puissant personnage était pourtant d'un commerce séduisant pour un homme désireux de se faire une place, mais comme je l'ai déjà signalé à mon lecteur, j'étais à cette époque moins résolu à intriguer qu'à profiter de ce qui m'entourait. Nous nous toisâmes donc quelques instants, pendant que M. de Kallenberg faisait des efforts pour donner à la rencontre un air de cordialité. Il parla de moi comme si nous étions des amis de quinze ans, écorcha au passage le nom de Lévignac en Lévrignac , et insista enfin sur ma belle tenue à la table de jeu. Cette dernière remarque sembla éveiller une pointe d'intérêt chez le prince, qu'il traduisit par une interrogation ambiguë, presque blessante.
    — Monsieur le comte, êtes-vous de ces gens qui jouent pour se donner de l'importance ? lâcha-t-il.
    — Monseigneur, je ne donne de l'importance qu'au divertissement que les cartes me procurent. Un gentilhomme joue pour jouer : il abandonne à la plèbe et aux tricheurs l'espoir de gagner ou la crainte de perdre, répondis-je du tac au tac.
    Un murmure parcourut le groupe qui accompagnait le prince. Le visage de ce dernier s'éclaira :
    — Monsieur, le tableau que l'on m'a fait de vous est fidèle : vous avez une tête froide et la main chaude, c'est une qualité rare à une table de jeu. Plus nombreux sont ceux qui se montent le coup sans oser. Ces fâcheux n'abattent leurs cartes que s'ils sont sûrs de leur coup. Je déteste les victoires déjà écrites : le sel d'une bataille réside dans l'incertitude, comme en amour… dit-il avant de s'interrompre à la vue d'une jeune beauté qui passa tout près de nous.
    Le prince de Conti était d'un naturel arrogant, mais, élevé à la mode des familles royales, il pouvait également se montrer familier. Nous fîmes quelques pas ensemble afin de nous écarter de sa suite et ce fut sur un ton amical qu'il me parla, me confiant même sans façon des remarques que l'on réserve généralement à des proches. Peut-être voulait-il tester ma loyauté. C'est une manière dont j'ai pu observer l'usage chez les puissants : on vous livre un secret en même temps que l'on prend soin de vous demander toute la discrétion possible. Mais, dans cette confidence, il y a volontairement beaucoup de faux pour un peu de vrai, de sorte que si le faux revient aux oreilles de celui qui s'est épanché, il saura qu'il ne peut vous faire confiance. À cette époque, je n'étais pas encore rompu à ces manières, je crus donc sur parole tout ce que j'entendis.
    Le prince avait le caractère d'un roi, son malheur était qu'il ne le fut pas. Aigri par cette situation, il ne pouvait s'empêcher de faire allusion à son cousin à tout propos, le critiquant sans prudence, uniquement préoccupé de convaincre son interlocuteur qu'il surpassait le souverain en toutes choses. C'était d'ailleurs souvent très vrai, mais dans une monarchie comme celle des Bourbons de France, il s'en faut de beaucoup pour que cela suffise à donner des droits au trône. M. de Conti le savait bien ; toutefois, rien ne l'irritait plus que de se savoir enchaîné pour toujours à sa place alors que le monarque l'était à la sienne. Louis XV ne manquait jamais de le lui rappeler avec une certaine cruauté, en même temps qu'il ne pouvait cacher une réelle admiration pour la bravoure de son turbulent cousin. Il sut d'ailleurs en exploiter les talents à la guerre et également dans sa diplomatie en lui confiant la haute main sur le Secret, cabinet noir chargé de mener des missions occultes dans toute l'Europe, chez nos alliés et nos ennemis. Mais je reviendrai plus tard sur cette étrange officine dont bien peu d'entre vous ont entendu parler, j'imagine.
    La conversation roula donc vers le jeu et les femmes, sujets sur lesquels je commençais à développer une certaine expertise. Le prince m'expliqua notamment comment il entretenait avec la gent féminine une relation aux antipodes de celle de son royal cousin.
    — Sa Majesté veut qu'on l'aime d'amour : Elle aime aimer mais surtout il faut lui réciter qu'on l'aime. La belle affaire ! Que m'importent à moi toutes ces vanités. On aime peut-être une fois dans sa vie, si on a de l'aubaine. Pour ma part, j'ai déjà consommé cette chance il y a fort longtemps. M'en voilà débarrassé. Ensuite, tout n'est que farces.

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