Pour vos cadeaux
forcé
sur le maquillage, et le rimmel se mêlant à ses larmes dessinant autour de ses
yeux le faciès d’un mineur de fond, elle s’était dit au moment de l’embrasser,
alors qu’elle était parvenue un instant plus tôt à se faire une très plausible
tête d’enterrement : mon Dieu, la folle de Chaillot, et là nous n’en
pouvons plus, c’en est trop, la joie nous gagne, alimentée par cette figure
arborant la foi du charbonnier.
Et que fit-elle alors ? Comment t’y es-tu prise, maman,
pour justifier cette inexplicable accès de franche gaieté en un moment
pareil ? Car, personnellement, si nous devions écrire la suite d’un tel
scénario, nous ne verrions pas d’autre solution pour tirer d’affaire l’héroïne
que de déclencher les sirènes d’alarme au-dessus du village assombri, le faire
survoler bientôt par une armada de forteresses volantes, et lâcher des
chapelets de bombes que l’on verrait s’affaler devant le disque jaune de la
lune comme des moucherons sur le drap tendu où le faisceau d’un projecteur
dessine un cercle lumineux, éventrer la place, ouvrir un puits sous la pompe à
main plantée en son centre, déraciner les trois peupliers qui délimitent le
petit square, enfouir le monument aux morts dans un entonnoir, le recouvrir de
terre, projeter en l’air le panneau de la station-service Azur, labourer la rue
principale, incendier la mairie et ses registres, décapiter le moignon du
clocher de l’église en attente depuis trois quarts de siècle de sa flèche,
faire retentir au passage les cloches, détraquer la pendule de l’oncle Emile,
souffler les vitraux – ce qui, du moins pour l’un d’entre eux, s’est
produit le seize septembre mil neuf cent quarante-trois lorsqu’un bombardier
américain de retour de sa mission mortifère sur Nantes, moteur en flammes, sans
doute atteint par un tir de la DCA, s’écrasa à proximité du bourg, entre la
ferme et l’école des frères où s’étendait alors des terres en friche, un morceau
de la carlingue projeté à plusieurs dizaines de mètres pulvérisant le vitrail
de la Passion, et, comme du tas de ferraille de l’appareil ressortit quasi
indemne le mitrailleur, celui-ci en remerciement ou en actions de grâce offrit
quelques années plus tard un présent à l’église que l’on peut admirer encore,
qui nous vaut trois lignes dans les guides touristiques et quelquefois le
sourire étonné de quelques curieux détournés du chemin des plages pour admirer
notre merveille incongrue, un vitrail, bien sûr, destiné à remplacer l’ancien,
où dans le groupe des femmes au pied de la croix on remarque une princesse
indienne identifiable à son bandeau dans les cheveux, sa robe de peau et ses
mocassins aux pieds, près desquels glisse un serpent, ce qui, quand on connaît
un peu la vie de celui qui domine la situation du haut de son arbre symbolique,
a de quoi surprendre, car enfin, s’il marcha sur les eaux, Jésus n’en profita
pas pour découvrir l’Amérique, d’où l’on se dit alors que le maître-verrier est
un iconoclaste ou qu’il aura perdu la raison. Mais non, il respecte la volonté
du mitrailleur volant qui, avant que l’avion ne s’écrase, avait appelé sa mère
à son secours, qui est donc cette femme indienne d’une tribu du sud du pays, ce
que dit le serpent à ses pieds, qui n’est pas la figure du mal que l’on doit
rageusement piétiner mais l’éclair qui se fait chair après qu’il a en
zigzaguant relié le ciel à la terre, elle est là, la mère indienne salvatrice,
qui comme Marie assiste son fils au moment où il s’apprête à mourir, décidée
coûte que coûte à le tirer de cette mauvaise passe, sauf qu’elle, elle l’en
tire. Et pour qu’on n’oublie pas à quelle circonstance nous devons ce vitrail
audacieux, en arrière du Golgotha, incrusté dans le flanc d’une colline ocre qui
ressemble à une mesa, on distingue l’empennage d’un avion, qui forme d’ailleurs
une petite croix, comme celle d’un larron exilé, rejeté, à qui l’on aurait
refusé cet honneur de former la garde rapprochée du Sauveur, interdisant bras
écartés à quiconque de s’approcher. Mais, que vous ne vouliez pas de moi, peu
m’importe, arrangez-vous avec vos textes et votre conscience, semble dire le
miraculé, tandis qu’au-dessus des restes de l’avion tournoie dans le bleu du
vitrail ce qui doit être un aigle : voyez, je suis venu avec mon
espérance. Même si le grand
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