Prophétie
l’histoire des meurtres et des prophéties de l’Apocalypse, mais il resta impassible, même s’il se mit à faire tournoyer la bague en or ornant sa main grassouillette.
« Vous pensez donc que cet individu peut être un ancien moine ? Moi, je n’en crois rien, insista-t-il en secouant la tête. La plupart des frères ont accepté la dissolution sans sourciller. Six d’entre eux sont devenus prébendiers ici même, sous mon autorité.
— Combien de moines y avait-il ici au moment de la Dissolution ? demandai-je.
— Vingt-quatre. Les frères d’un certain âge n’ont pas tous apprécié le changement. Mais, étant plutôt réalistes, ils ont tous signé avec empressement l’acte de reddition, à part le vieux frère Elfryd, qui a exigé comme seule condition d’être enterré selon l’ancien cérémonial. Et on lui a accordé cette faveur, précisa-t-il avec un petit sourire. Il est mort peu après son départ et il gît à présent en ces lieux. Six frères ont rendu l’âme peu après leur départ du monastère.
— Qu’est-il advenu du chef infirmier, Lancelot Goddard ? s’enquit Harsnet. Et de ses assistants ? Les noms de deux d’entre eux sont inscrits à la Cour des augmentations.
— Et savez-vous si le Dr Goddard utilisait du papaver ? ajoutai-je.
— S’il utilisait quoi ? » Une lueur brilla un bref instant dans les yeux endormis et j’eus le sentiment qu’il avait répondu un peu trop vite. J’expliquai la nature de la substance. « Ceci est fort troublant », murmura-t-il. Il s’abîma alors dans ses pensées tout en triturant nerveusement sa bague. Il finit par lever la tête et nous fixa.
« Je ne sais pas si le Dr Goddard utilisait votre papaver, car je luilaissais la charge de l’infirmerie. Il était fort compétent et je ne me souviens pas d’avoir reçu la moindre plainte à son sujet… Messieurs, je vais vous apporter mon aide, dans la mesure de mes moyens, reprit-il après un silence. Bien que je pense que vous faites fausse route. Qui que ce soit, ce… cet être répugnant ne vient pas d’ici, à mon avis.
— Connaissiez-vous bien le Dr Goddard ? demandai-je.
— Pas vraiment, non. » Il s’autorisa un sourire cynique. « Ce n’est un secret pour personne que j’ai été nommé abbé avec l’ordre d’opérer en douceur une dissolution de Westminster. Mission accomplie. J’ai donc surtout remarqué les moines qu’on a dû persuader ou sur lesquels il fallait faire pression. Le Dr Goddard n’était pas l’un de ceux-là. Il était responsable de l’infirmerie des moines, traitait les maladies courantes, s’occupait des vieux moines ainsi que des malades de la localité qui accouraient à notre petite infirmerie.
— Avec l’aide de ses assistants ?
— En effet. Charles Cantrell dans l’infirmerie des moines et Francis Lockley dans l’infirmerie laïque, réservée aux pauvres de Westminster.
— Étaient-ils tous les deux qualifiés ?
— Non. Cantrell était moine. Lockley était un frère convers qui habitait ici et travaillait pour nous. Goddard les avait formés tous les deux.
— Quel genre d’homme était Goddard ? »
Benson inclina la tête. « Il n’était pas très sociable. Les gens le trouvaient froid. Issu d’un milieu riche, il avait tendance à mépriser ceux qui étaient d’humble origine. Il a accepté la dissolution sans broncher, comme les autres. Il ne prenait guère la parole lors des dicussions du chapitre.
— Il a quitté son logement sans laisser d’adresse, l’informa Harsnet. Sauriez-vous où il habite à présent ?
— Je crains que non. Il est resté ici très longtemps. Je ne me rappelle pas qui était sa famille. Et la plupart de nos archives ont été détruites.
— Soit. » Je savais qu’il disait la vérité, la plupart des archives des monastères ayant été brûlées pendant la Dissolution, en même temps que les ouvrages enluminés.
« Auriez-vous d’autres renseignements sur lui à nous fournir, monsieur… ?
— Il était déjà chef infirmier à mon arrivée au monastère. Je me rappelle avoir entendu dire qu’il était devenu novice très jeune. Il avait une quarantaine d’années à la fermeture du monastère.
— Ses anciens voisins le trouvaient hautain, dis-je pensivement. Il n’a donc jamais abandonné les préjugés du monde extérieur.
— C’était assez courant parmi les moines. Leur refus d’abandonnerles usages du monde
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