Prophétie
Dorothy aussi, pensai-je, un frisson d’angoisse m’envahissant soudain. « Des milliers de Londoniens appartiennent à cette catégorie, ajoutai-je. Des milliers… »
Le coroner scruta mon visage, comme si, devinant ma peur, il jaugeait mon courage. Après un imperceptible hochement de tête, il répondit : « Nous devons avant tout penser aux fonds nécessaires. Si nous décidons de rechercher Goddard, d’enquêter parmi les sectes, de protéger ceux qui ont besoin de protection, il nous faut réunir un groupe d’hommes capables de garder le secret. Je dispose de certaines ressources, mais elles sont limitées. » Il prit une profonde inspiration. « Toutefois quelqu’un a proposé son aide à l’archevêque Cranmer.
— Qui donc ?
— Sir Thomas Seymour… Oui. Moi aussi, ç’a m’a beaucoup surpris. Savez-vous pourquoi Seymour a été mis dans la confidence ?
— À cause de sa relation avec Catherine Parr ?
— C’est ça. Il a prétendu désirer protéger les intérêts de la dame par esprit chevaleresque, mais ce n’était pas la seule raison. Quand le Dr Gurney a été retrouvé mort, il a craint d’être considéré comme un suspect, d’être soupçonné de faire partie d’un complot pour éloigner le roi de lady Catherine. L’archevêque Cranmer m’a avoué avoir été soulagé lorsqu’on a découvert le cadavre de Tupholme et qu’on a cessé de s’intéresser à elle. Or voilà que Thomas Seymour nous propose des hommes de sa maisonnée dignes de toute confiance pour nous aider dans notre enquête.
— Pour quelle raison ? »
Il poussa un petit rire sans joie. « Sir Thomas adore les aventures, expliqua-t-il, et sa maison regorge de jeunes gens animés du même esprit.
— Cela semble plausible, si j’en crois ce qu’on dit sur lui, renchérit Barak.
— C’est une affreuse canaille. Mais force nous est d’accepter l’aide d’où qu’elle vienne. L’archevêque et lord Hertford sont si proches de la Cour qu’on remarquerait vite tout événement inhabituel survenant dans leur maisonnée. Mais personne ne remarquera ni ne se souciera de nombreuses allées et venues chez sir Thomas Seymour.
— Peut-on lui faire confiance ? demandai-je d’un ton dubitatif.
— Il a de bonnes raisons de se tenir coi. Cette affaire aurait dû être portée à la connaissance du roi et il est déjà impliqué dans le secret. On peut donc lui faire confiance, me semble-t-il.
— Vous êtes bien davantage que moi au courant des usages de la Cour. Je m’en remets donc à votre jugement.
— Merci, fit-il en inclinant la tête… Quelles que soient nosdivergences en matière de foi, je suis sûr que nous pourrons travailler harmonieusement ensemble.
— Je l’espère vraiment, monsieur, acquiesçai-je, un rien gêné.
— Peut-être l’un de ces soirs accepterez-vous de venir dîner avec ma femme et moi. On pourrait faire plus ample connaissance », ajouta-t-il en rougissant. Le coroner était en fait un homme timide, compris-je alors.
« Ce serait avec plaisir.
— Très bien, fit-il en se levant. Et maintenant, allons voir le chapitre. Je suppose qu’il regorgera de représentations papistes. »
Nous demandâmes à un commis que nous croisâmes où se trouvait le chapitre et il désigna une lourde porte de chêne entrouverte un peu plus loin. Nous longeâmes un petit couloir et pénétrâmes dans l’une des salles capitulaires les plus extraordinaires que j’aie jamais vues. De forme octogonale, éclairée par d’immenses vitraux, elle était extrêmement vaste, et le sol était pavé de merveilleux carreaux. Telles deux sentinelles, des statues aux vives couleurs joliment sculptées de la Vierge et de saint Pierre se dressaient à l’entrée.
Soudain, nous restâmes figés tous les trois, bouche bée, devant le spectacle qui s’offrait à nos yeux… Sous les vitraux, le mur était divisé en plusieurs panneaux, sur chacun desquels une scène de la Révélation de saint Jean était peinte en couleurs éclatantes, aveuglantes, et estampée à la feuille d’or. Il y en avait un grand nombre, illustrant tout le livre : saint Jean, le Christ lors du Jugement dernier, le feu de l’enfer, la bête à sept têtes et dix cornes, les sept anges versant leur coupe pleine de la fureur de Dieu sur un monde ensanglanté par les tourments…
19
N ous restâmes cois, pivotant sur nos talons pour contempler l’ensemble du vaste spectacle de
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