Prophétie

destruction. Le récit que relatait les panneaux était interrompu sur l’un des murs par une peinture représentant le jour du Jugement dernier où les bons chrétiens montent au ciel, tandis que les pécheurs nus au teint pâle sont précipités en enfer. Or, même cette peinture ne possédait pas les lumineuses couleurs des terrifiantes scènes de l’Apocalypse, dont je ressentis toute la force pour la première fois.
    Barak s’approcha des panneaux pour les examiner de près, ses pas résonnant sur le carrelage. Il s’arrêta devant la représentation d’une énorme bête dotée de plusieurs cous, semblables à des serpents sortant de ses puissantes épaules et à l’extrémité desquels se trouvait une tête hurlante, chacune couronnée d’une ou deux cornes. Devant la bête, la tête ceinte d’un halo en feuille d’or, une expression de terreur sur le visage, se tenait saint Jean, le témoin des événements à venir. Je rejoignis Barak.
    « Voici donc à quoi ressemblait la bête aux sept têtes et aux dix cornes ! dis-je. J’avais, en fait, du mal à l’imaginer. »
    Le style de l’œuvre était celui d’il y avait deux siècles, les personnages manquant de la souplesse naturelle que l’art a depuis peu réussi à représenter. Le résultat était malgré tout extrêmement frappant et terrifiant.
    « Les moines de Westminster voyaient ces tableaux, murmurai-je. Goddard, Lockley, Cantrell. Tous les jours, durant les réunions du chapitre. Cela peut très bien finir par ronger l’âme.
    — Lockley, le frère convers, ne devait pas assister aux réunions du chapitre, n’est-ce pas ? demanda Barak.
    — La salle capitulaire ne servait pas que pour les réunions. Il a dû souvent voir ces panneaux. »
    Harsnet se joignit à nous. « Les papistes affirment que nous avons permis de lire la Bible à ceux qui sont incapables de comprendre son message et qui risquent d’en donner des interprétations fantastiques.Mais voyez, messire Shardlake, les peintures peuvent produire les mêmes effets. Si cette salle avait été badigeonnée à la chaux comme une église réformée, l’esprit de Goddard n’aurait peut-être jamais été dérangé. Je pense que le diable l’a approché par l’intermédiaire de ces tableaux.
    — Si Goddard est le coupable…
    — Certes. Mais cela semble l’hypothèse la plus probable.
    — Est-ce ce que le doyen cherchait à dissimuler ? Se rappelait-il ce panorama, l’effet qu’il avait peut-être produit sur quelqu’un ? »
    Harsnet serra les lèvres. « C’est ce que nous allons découvrir. Sergent Shardlake, dès demain, je rendrai à nouveau visite au doyen. Pourriez-vous parler à ces deux anciens moines et voir ce qu’ils savent ? Étayons nos connaissances avant de réinterroger Benson.
    — D’accord. Dès aujourd’hui, mais après la séance du tribunal, si vous permettez.
    — Bien sûr. Pour ma part, je vais envoyer un mot au conseil municipal de la cité de Londres, on y a peut-être des renseignements sur la famille de Goddard.
    — Avant de partir, j’aimerais jeter un coup d’œil à ce qui reste des bâtiments de l’infirmerie.
    — Bonne idée, en effet. » Il lança un regard de dégoût autour de la salle, avant de prendre le chemin de la sortie. Je m’arrêtai devant un panneau représentant un ange ailé, à la mine sombre et vêtu de blanc, en train de verser un liquide sur la terre qui s’enflammait. Des visages livides, tordus de douleur, apparaissaient entre les flammes.
    « La quatrième coupe, chuchotai-je à Barak. Dieu du ciel, j’espère qu’on va l’attraper avant qu’il ne massacre une nouvelle victime ! »
     
     
    Nous ressortîmes dans le cloître et demandâmes à un autre commis où étaient les bâtiments de l’ancienne infirmerie. Il nous expliqua qu’ils avaient été démolis, mais que l’infirmerie laïque, où étaient jadis soignés les pauvres de la paroisse, se trouvait non loin de là, de l’autre côté de l’ancien cimetière des moines. La pluie s’arrêta au moment où nous quittâmes le cloître pour longer un chemin traversant un espace gazonné et parsemé de stèles, dont certaines remontaient à plusieurs siècles. Comme cela se passait dans tous les monastères dissous, les pierres tombales seraient bientôt descellées, les cercueils déterrés et les ossements jetés dans une fosse commune.
    L’infirmerie était un édifice peu élevé, tout en longueur et, afin