Prophétie
partit d’un rire moqueur. « Vous vous mettez martel en tête ! Pourquoi s’intéresserait-il à vous ?
— Je n’en sais rien… Vous, vous n’avez pas eu d’ennui, demandai-je à Harsnet.
— Non. Mais comme je travaille au palais de Whitehall il serait plus difficile de m’atteindre. »
Cranmer se passa la main sur le visage. « Il ne nous reste qu’à poursuivre notre chasse à l’homme. Revoyez demain le doyen Benson et le dénommé Lockley. Où loge Lockley ?
— Près de la chartreuse.
— Ça ne me plaît guère que lady Catherine Parr habite si près de quelqu’un qui risque d’être plus ou moins impliqué dans ces meurtres.
— Elle est entourée de serviteurs, répondit son frère avec une certaine lassitude. C’est une femme dont la foi est discrète et sincère. Et elle n’a pas grand-chose de commun avec les victimes du tueur.
— Yarington non plus. Mais cela ne l’a pas empêché de se consumer ce soir comme une bougie de Noël.
— Monseigneur, intervint Harsnet, je pense que nous devrions nous rendre sans plus tarder chez le révérend Yarington. Le marguillier m’a indiqué qu’il habitait au presbytère, à deux rues de son église, seul avec ses serviteurs. Je lui ai demandé de ne pas les avertir de ce qui s’était passé. »
Cranmer réfléchit quelques instants. « Très bien. Matthew et Gregory, rendez-vous tout de suite chez le malheureux Yarington, parlez à ses domestiques, essayez d’en savoir le plus possible sur son mode de vie. Faites-vous accompagner par deux de mes gardes, et si vous pensez que ça vaut la peine de détenir l’un ou l’autre des serviteurs, faites-les conduire ici discrètement… Bon. Matthew, avant que vous ne repartiez, j’aimerais m’entretenir avec vous quelques instants en tête à tête. »
Les autres se retirèrent, me laissant seul avec l’archevêque.
« Cette affreuse histoire vous affecte. N’est-ce pas, Matthew ? »
Je sentis des larmes me monter aux yeux. Les paroles de l’archevêque pouvaient produire cet effet. « Oui, répondis-je.
— Parce que votre grand ami a été l’une des victimes ? Et parce que le meurtrier vous suit et vous nargue ?
— Oui. Et parce que je n’ai jamais vu une telle… perversion.
— Cela m’oppresse moi aussi. J’ai vu beaucoup d’hommes – beaucoup trop – assassinés pour des raisons politiques. Mais cette fois-ci, c’est différent. Ces hommes sont morts dans des conditions abominables. J’ai le sentiment que cet individu prend plaisir à tuer.
— C’est aussi mon avis.
— Comment peut-on agir ainsi et être persuadé qu’on accomplit la volonté de Dieu ? s’écria-t-il soudain avec une certaine émotion. Est-ce une parodie blasphématoire directement inspirée par le diable ? C’est ce que pense Gregory Harsnet.
— Je n’en sais rien, monseigneur. J’essaie de ne pas trop penser à cette hypothèse.
— Le feu… Quelle horrible façon de mourir. J’ai essayé de convaincre les hérétiques, les ai suppliés de venir à résipiscence en leur décrivant la façon dont la peau se flétrit quand fond la graisse, en évoquant le grésillement et le crépitement. » Il ferma les yeux et soupira. « Je les aurais sauvés si je l’avais pu, mais le roi exige toujoursles plus extrêmes châtiments. Jadis il cherchait à persécuter les catholiques mais il retourne de plus en plus aux anciens rites religieux, à une sorte de catholicisme sans pape. Et, au fil des ans, il devient de plus en plus difficile de l’influencer. » Il secoua la tête, ferma les yeux un bref instant, puis me lança un regard perçant. « Avez-vous la force de continuer ?
— Oui, monseigneur. J’ai juré de venger mon malheureux ami. Je vais poursuivre ma tâche. Je trouverai le courage pour la mener à bien.
— Alors, moi aussi, répondit-il avec un sourire contraint. Catherine tient toujours la dragée haute au roi et refuse de lui fournir sa réponse. Elle a peur, la pauvre femme… Rien de surprenant à cela… ça fait à peine un an que Catherine Howard a été décapitée. Je dois cependant prier ses amis de la pousser à consentir, vu l’influence qu’elle pourrait avoir sur le roi.
— Elle courra un certain péril.
— En effet, convint-il en hochant fortement la tête. Nous devons tous affronter le danger pour servir le Christ. Il a subi les pires horreurs pour nous. » Il garda le silence un certain temps, l’air à la
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