Prophétie

scruta un instant le visage basané de Guy, avant de répondre à sa question. « Je n’en sais rien. Je suis arrivé là il y a deux heures. J’ai frappé mais personne ne s’est manifesté. » Il eut une autre violente quinte de toux. « Les volets étaient tous fermés, alors j’ai défoncé la porte. Une femme gît sur le sol. Elle est… mutilée. » Il se racla bruyamment la gorge. « Il y a quelque chose dans l’air là-dedans, un poison qui me brûle la gorge.
    — Permettez…, dit Guy, en ouvrant délicatement la bouche de l’homme pour regarder à l’intérieur. Votre gorge est très irritée, expliqua-t-il. Asseyez-vous sur la marche et tâchez de respirer tranquillement.
    — C’était affreux. On aurait dit que ça voulait m’arracher le souffle. »
    Je regardai la porte. La serrure était fracassée, mais le garde l’avait refermée en ressortant de la taverne.
    « Avez-vous pénétré à l’intérieur ? demandai-je à Harsnet.
    — Non, j’y ai jeté un coup d’œil… J’ai reniflé une fois l’atmosphère et cela m’a suffi. On a l’impression que quelque chose essaie de vous déchirer le gosier… Comment se fait-il que vous soyez là, monsieur ? lança-t-il à Guy.
    — Je me trouvais avec le Dr Malton, expliquai-je. Le Dr Malton est peut-être capable de nous aider. Guy, à votre avis, qu’a-t-il pu arriver à l’air ?
    — Il n’y a qu’une façon de le découvrir », répondit-il en tirant un mouchoir de sa poche pour y enfouir son nez, avant d’ouvrir tout grand la porte. Je fis un pas en arrière au moment où une odeur âcre et piquante assaillait mes narines. Guy pénétra dans la taverne dont les volets étaient fermés. Dans l’obscurité, je discernai sous le passe-plat une grosse masse pâle, parsemée de taches plus sombres. C’était un corps.
    Guy se précipita vers les volets et les ouvrit complètement. En même temps que la lumière un courant d’air frais s’engouffra immédiatement dans la pièce. Depuis le seuil nous contemplâmes la salle où régnait le plus grand désordre, tables et chaises ayant été renversées. La forme claire sous le passe-plat était bien le corps de mame Bunce, à platventre sur le sol de pierre. On lui avait enlevé son bonnet, dégageant ses longs cheveux bruns, retroussé sa robe jusqu’aux aisselles et arraché son jupon, qui reposait en tas sur l’une des tables. Son corps blanc grassouillet était à demi nu et ses bras avaient été attachés derrière le dos avec de la corde.
    « Merde ! » souffla Barak.
    J’aperçus des marques violacées autour de ses poignets indiquant que la malheureuse s’était débattue pour tenter de se libérer, mais les nœuds étaient très serrés. Près de son visage se trouvait un chiffon sur lequel était posé quelque chose de rouge foncé.
    « Grand Dieu, que lui a-t-il fait ? » murmura Harsnet, les poings serrés. Guy se dirigea vers le corps et le contempla en se signant très vite. Harsnet, qui regardait la scène depuis le seuil, plissa les yeux devant ce geste. « Il n’y a plus de danger à entrer, dit Guy d’un ton serein. L’odeur se dissipe, mais plaquez vos mouchoirs sur le nez et la bouche et prenez de courtes inspirations. »
    Harsnet, Barak et moi sortîmes nos mouchoirs, avant de pénétrer prudemment à l’intérieur. « De quelle substance s’agissait-il ? s’enquit Barak.
    — Du vitriol, répondit Guy. À très forte concentration. »
    Nous fixâmes le corps. La peau blanche du tronc et des jambes portaient de larges marques rouges qui ressemblaient à des brûlures. Horrifié, je compris que la moitié du postérieur avait été profondément brûlé et qu’il en résultait une énorme, une monstrueuse plaie violacée. Il n’y avait cependant aucune trace de sang près du cadavre, rien qu’une flaque de liquide incolore.
    « Qu’est-ce que le vitriol ? » demanda Harsnet à Guy. L’atmosphère était plus respirable désormais, mais il y flottait toujours une odeur légèrement âcre. « Dieu du ciel, que lui a-t-il fait ? répéta-t-il d’une voix suraiguë.
    — Le vitriol est un liquide qui brûle et dissout tout ce avec quoi il entre en contact, expliqua Guy. Ses propriétés sont bien connues et les alchimistes le fabriquent fréquemment pour dissoudre la pierre. Ils pensent que le vitriol possède des pouvoirs particuliers parce que l’or est une des rares choses qu’il ne peut pas dissoudre. Ç’a dû