Prophétie
prendre des heures pour obtenir ce résultat, à l’aide d’applications répétées. » Guy fut alors saisi de violents tremblements, réaction que je ne lui avais jamais connue, quelles que soient les horreurs qu’il avait eu à contempler.
Harsnet se pencha vers le liquide répandu sous le corps. « Et ça, qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il en approchant un doigt.
— N’y touchez pas ! » hurla Guy. Harsnet s’empressa de s’écarter, tandis que Guy tirait une spatule d’une poche de sa robe et touchaitle liquide. On perçut un léger sifflement et la spatule se mit à fumer. « C’est du vitriol, dit-il. Regardez comment ç’a rongé le bois. Ç’a même érodé la pierre.
— Si c’est un poison, m’enquis-je. Comment le meurtrier a-t-il pu rester ici durant des heures ?
— Je soupçonne que ça s’est passé pendant la nuit et qu’il avait laissé ouverts les grands volets des fenêtres donnant sur la cour. De toute façon il a quand même dû être obligé de se rendre constamment à la fenêtre. »
Barak regardait par le passe-plat. Des tasses et des coupes en étain se trouvaient sur un égouttoir, d’autres attendaient d’être lavés dans une bassine. Apparemment, le tueur était arrivé juste après la fermeture de la taverne, ou peut-être en avait-il été l’un des derniers clients.
« Janley ! » appela Harsnet. Le garde entra en traînant les pieds et fixa avec horreur le corps mutilé. « Fouillez le reste de la maison, ordonna le coroner. Allez-y ! » La main sur le pommeau de l’épée, Janley ouvrit à contrecœur la porte donnant sur l’appartement privé et passa de l’autre côté.
« Est-ce Lockley ? soufflai-je. Est-il le meurtrier ?
— Peut-être Lockley a-t-il été tué lui aussi. Peut-être le corps se trouve-t-il dans une autre pièce », dit Barak en s’épongeant le front.
« “Et le cinquième ange versa sa coupe sur le siège de la bête” », récitai-je. C’était un extrait des chapitres de l’Apocalypse que nous connaissions tous désormais. « “Et son royaume devint enténébré, et les hommes se mâchèrent la langue de douleur, et ils blasphémèrent le Dieu du ciel pour leurs souffrances et leurs ulcères, et ils ne se repentirent pas de leurs œuvres.” » Guy se pencha et retourna très délicatement le corps brutalisé, avant de pousser un soupir rauque. Je me forçai à regarder le visage de mame Bunce dont la partie inférieure était ensanglantée. Je n’oublierai jamais les yeux exorbités, témoins des horreurs et des souffrances qu’elle avait subies durant son agonie. Guy lui palpa la mâchoire, et, saisissant sa spatule, toucha doucement le chiffon placé à côté de son visage, puis la chose rouge qui s’y trouvait et qu’il recouvrit avec un coin du tissu.
« Qu’est-ce que c’est ? demandai-je.
— Sa langue. Il l’a bâillonnée avec le chiffon pendant qu’il la torturait, avant de le retirer finalement. Pour que s’applique la partie du verset qui parle de se mâcher la langue. Il a tiré sa langue et l’a coupée en lui refermant brusquement les mâchoires. » Il toucha la mandibule pendante. « Oui, ce geste a brisé les maxillaires de la malheureuse. Elle est morte un peu plus tard, son cœur ayant sans doute lâché.
— Quelle sorte d’individu pourrait infliger ce supplice à une femme ? demanda Harsnet, incrédule.
— Elle n’est pas la première personne qu’il a fait mourir sous la torture, observa Barak. Le maraîcher a été lacéré et il l’a laissé mourir de ses blessures. Mais cette mort-ci est encore pire.
— Quand la Bible parle du “siège” de la bête, dit Harsnet, cela fait référence au trône du diable, pas à un… derrière humain. Ç’a tout l’air d’un jeu de mots blasphématoire. Une plaisanterie diabolique. »
Nous nous retournâmes tous lorsque Janley repassa la porte de l’appartement privé. « Il n’y a rien de particulier, annonça-t-il. Le reste de la maison a l’air normal.
— Lockley est-il le coupable ? fit Harsnet.
— J’ai de plus en plus l’impression que c’est finalement lui le tueur, déclara Barak en se tournant vers moi.
— Moi, je ne suis toujours pas convaincu. S’il peut, certes, connaître l’usage du papaver, à mon avis, il ne possède pas les connaissances juridiques que nécessitait la lettre envoyée à Roger. Je n’imagine pas Lockley capable d’écrire une missive en bonne
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