Prophétie
soirée.
Le matin, il pleuvait toujours et de grosses flaques s’élargissaient sur ma pelouse. Tout en m’habillant, je regardai le mur qui séparait ma propriété de l’ancien verger de Lincoln’s Inn. De l’eau allait pénétrer par là comme deux années plus tôt, le terrain semblant déjà saturé.
Dans la salle, je trouvai Barak assis à la table, fixant d’un air dubitatif son assiette de pain et de fromage.
« Je t’ai entendu rentrer tard, cette nuit, dis-je.
— Je suis allé boire avec des copains.
— À nouveau ? fis-je en prenant un morceau de pain. Tu ne pourrais pas sortir avec Tamasin un de ces soirs ? »
Il fixa sur moi des yeux chassieux. « J’avais besoin d’aller boire un verre. J’en ai marre de rester là, les bras ballants, en attendant que surviennent de nouvelles horreurs.
— Où est Tamasin ?
— Elle ronfle. Elle s’est réveillée quand je suis rentré cette nuit et s’est déchaînée contre moi. Elle rattrape le temps perdu. » La réconcilation avait donc fait long feu. L’expression de son visage indiquait clairement qu’il n’avait pas l’intention de se confier.
« Guy a dîné ici, hier soir, dis-je.
— Vous lui avez tout raconté sur nous, n’est-ce pas ? fit-il d’un ton ironique.
— Il m’a fait part de ses propres ennuis. De l’argent disparaît et il pense que c’est Piers qui le vole, bien qu’il ait du mal à accepter l’idée. »
Il planta sur moi un regard pénétrant. « Quand j’ai vu le vieux Maure avec Piers, j’ai eu l’impression qu’il croyait que la lumière du soleil jaillissait de sa lune.
— Il voulait s’occuper de quelqu’un, en faire son disciple. Mais il commence à se rendre compte de la vraie personnalité de Piers.
— Vous en êtes sûr ? » Avait-il lu entre les lignes, deviné que les sentiments de Guy pour Piers n’étaient pas aussi simples que ça ?
« Oui. Mais, pour le moment, il refuse de l’accuser. Et Piers sait être… persuasif.
— Et si nous allions rendre visite au jeune Piers ? Pour exercer sur lui quelque pression ? Nous pourrions étudier sa réaction et agir en conséquence. » Il fit un bref sourire, un sourire sardonique.
« Tu veux dire, à un moment où Guy ne serait pas là ?
— Il ne nous laisserait pas agir à notre guise en sa présence, pas vrai ? »
J’hésitai quelques instants. « Je sais que Guy ne sera pas chez lui ce soir, déclarai-je, car il retourne voir Bealknap. Connaissant ses habitudes, je suis certain que ce sera après le dîner, aux environs de sept heures, sans doute.
— On va à Bucklersbury, par conséquent ?
— Mais on va juste lui parler ! Pas de brutalité.
— Même s’il n’est pas voleur, c’est un sale type qui écoute aux portes. Ça ne lui fera pas de mal qu’on lui secoue un peu les puces.
— D’accord. » Je finis mon pain et mon fromage, puis me levai de table. « Nous devons partir maintenant. J’ai reçu un mot hier soir. Harsnet a convoqué une réunion pour discuter des derniers développements. À Whitehall cette fois-ci, pas au palais de Lambeth. »
Barak se mit sur pied d’un bond. « Parfait ! Car il faut absolument que je m’occupe. Autrement, je vais devenir aussi fou qu’Adam Kite. »
En arrivant à Whitehall, nous apprîmes que lord Hertford et sir Thomas Seymour se trouvaient déjà chez le vice-coroner. On enjoignit une nouvelle fois à Barak d’attendre sur un banc devant le bureau de Harsnet. « Désolé, lui chuchotai-je, comme le garde frappait à la porte.
— Je commence à m’y habituer, manant que je suis, ricana-t-il enétendant ses jambes, chaussées de bottes boueuses après notre chevauchée à travers Londres. Le garde fronça les sourcils, une attitude respectueuse étant de mise dans l’enceinte du palais royal. On entendit la voix de Harsnet nous prier d’entrer. Je pris une profonde inspiration et ouvris la porte.
Harsnet était installé à son bureau et Lord Hertford se tenait près du mur. Ils avaient tous les deux la mine grave, tandis qu’une expression d’agacement marquait la belle tête de crapule de sir Thomas Seymour, appuyé nonchalamment contre le mur près de son frère. Paré comme un paon selon son habitude, il portait ce jour-là un justaucorps d’un bleu vif et tenait à la main un bonnet orné d’un énorme plumet.
« Fermez la porte, Matthew, dit Harsnet. Et approchez-vous. Personne ne doit
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