Prophétie
m’anéantis pas !
— Monsieur, que faites-vous donc ? me demanda Ellen avec indignation.
— Je tourne une clef pour ouvrir une porte. Il est absolument nécessaire de le faire. » Je m’agenouillai à côté d’Adam, me forçant à parler d’une voix sereine. « Adam, vous êtes un jour allé porter chez le révérend Yarington un message de la part de votre pasteur, n’est-ce pas ?
— Oui ! s’écria-t-il, l’air terrifié.
— Abigail vous a vu et vous a invité à entrer dans sa chambre. Elle avait envie d’un jeune homme. Elle vous a enseigné des pratiques auxquelles vous aviez déjà pensé sans jamais les mettre en œuvre. C’est bien ça ?
— Comment pouvez-vous être au courant ? chuchota-t-il. Dieu vous a-t-Il choisi comme instrument de mon châtiment ?
— Non, Adam, lui dis-je en souriant. Le petit palefrenier de Yarington a aperçu quelqu’un depuis l’écurie et je viens de deviner que c’était peut-être vous. Un point c’est tout. Abigail s’est enfuie et il faut que je la retrouve pour qu’elle serve de témoin dans une affaire. » Il était hors de question de lui révéler le meurtre de Yarington.
« Voilà mon énorme péché, répondit-il. Je sais que si mes parents et mon église le découvraient, ils me rejetteraient, car j’ai perdu ma place parmi les élus… Monsieur, vous n’allez rien dire à mes parents, n’est-ce pas ?
— Non. Je vous le promets.
— Entre ses mains j’étais comme de la pâte à modeler… Jésus, mon bouclier, semblait incapable de me protéger. Ce devait être une envoyée du diable.
— Elle n’était qu’une pauvre femme. Elle-même impuissante sous l’emprise de cet hypocrite de Yarington.
— Oui, c’est un hypocrite, renchérit-il en hochant frénétiquement la tête. Je savais que je devais en parler à mes parents, à l’église… J’ai demandé à Dieu qu’Il m’éclaire, mais je n’ai entendu aucune réponse, absolument aucune. M’a-t-Il abandonné ?
— Adam, je ne suis pas théologien. Mais une chose est certaine : vous, vous ne L’avez pas abandonné. Peut-être n’avez-vous pas choisi la bonne méthode pour vous faire entendre de Lui. »
Bouleversé, il enfouit son visage dans ses mains et recommença à pleurer. Dans un craquement de genoux, je me remis douloureusement sur pied et me tournai vers Ellen. « Je dois partir maintenant. Le renseignement qu’il vient de me fournir est important. Pour un… dossier que je traite. Je ne sais pas à quel moment va arriver le Dr Malton. Puis-je laisser Adam avec vous ?
— Sera-t-il en sécurité avec moi ? fit-elle, l’air amer. Est-ce ce que vous voulez dire ?
— Non… Je…
— Je sais me maîtriser, je pense, rétorqua-t-elle. Sauf lorsqu’on me force à sortir dans la rue ou si l’on me sert du vin fort ou de la bière. Je suis saine d’esprit, dans l’ensemble.
— Je sais qu’avec vous je le laisse en de bonnes mains.
— Vous parlez sincèrement ? demanda-t-elle en rougissant.
— Absolument. Si le Dr Malton vient, rapportez-lui les paroles d’Adam, je vous prie. Et dites-lui… dites-lui que j’ai essayé de le voir.
— À votre mine je comprends qu’il s’agit de quelque chose de grave. Adam a-t-il des ennuis ?
— Non, sur ma foi… Vous êtes une femme de bien, Ellen, ajoutai-je. Ne laissez pas cette brute épaisse de Shawms vous faire croire le contraire. »
Ses yeux s’emplirent de larmes. Je quittai la pièce, les pensées se bousculant dans ma tête. Ainsi, c’était Adam qui rendait visite à Abigail et non pas Piers. C’était donc le garçon brun que j’avais recherché. Je me demandai soudain s’il était raisonnable de laisser Adam avec Ellen, l’accès de panique de la jeune femme m’ayant ébranlé. Mais non, pensai-je, à part cette étrange phobie, elle n’est que trop saine d’esprit, plus sensée qu’un grand nombre de ceux qui marchent en liberté dans les rues de Londres.
39
J e rentrai à la maison d’humeur pensive . Incapable d’affronter les foules encombrant les rues, j’empruntai les routes au nord du mur de la ville et, comme elles étaient désertes, je m’y sentis davantage en sécurité. Le calme compensait la puanteur de Houndsditch, où, en dépit des injonctions du Conseil, les habitants continuaient à jeter des cadavres de chiens et de chevaux. Je pensai à Adam et au fait qu’on avait tendance à oublier que les fous avaient souvent
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