Prophétie
Cantrell mais aussi contre moi-même. « Quel imbécile j’ai été ! murmurai-je.
— Pourquoi dites-vous cela ? fit Harsnet. Il nous a tous bernés.
— Je me suis laissé berner trop facilement ! J’ai vu Cantrell comme il voulait qu’on le voie, c’est-à-dire comme une victime de l’existence.
— Il faut qu’on regarde ce qu’il y a dans ces coffres, déclara Harsnet.
— Je prends celui-ci et vous prenez celui-là », dis-je en soulevant le couvercle de celui qui se trouvait le plus près de moi, plein d’appréhension à l’idée d’en découvrir le contenu. Il s’agissait, en fait, d’un tas de vêtements de déguisement, toges haillonneuses et couronnes en tissu, fausses barbes et perruques. Une véritable garde-robe.
« Tout ça a dû coûter pas mal d’argent, dit Harsnet en y jetant un coup d’œil.
— Certains de ces vêtements sont usagés. » Je sortis du coffre un manteau fait de morceaux de tissu de différentes couleurs. « Voici latunique multicolore de Joseph. J’en ai vu de semblables lors de fêtes costumées. Il ne devait pas avoir besoin de tous ces vêtements. »
Le coffre que Harsnet avait ouvert recelait des flacons et des pots pleins d’herbes et de médecines, enveloppés dans des chiffons. Je les débouchai avec précaution. L’un des flacons contenait un épais liquide jaune, à l’odeur âcre. Je le sortis du coffre. « Je crois que c’est du papaver.
— Où se l’est-il procuré ?
— Il a dû le fabriquer lui-même, en se servant de la formule de Goddard. » Je pris un autre flacon et j’en humai prudemment le contenu, avant d’en verser quelques gouttes par terre. Le vitriol grésilla et bouillonna.
— La conclusion s’impose, dit Harsnet.
— En effet.
— Quelle est l’origine de cette folie meurtrière ? fis-je.
— Elle vient du diable, affirma simplement le coroner en me regardant droit dans les yeux, mais je secouai la tête.
— Cela simplifierait les choses, je suppose. Ce serait plus facile à supporter.
— Il s’agit peut-être bien d’une chose toute simple en effet. Vous avez trop pensé à cet individu.
— Et pour cause ! Il a tué mon ami. » Je me penchai pour ouvrir le troisième coffre et nous regardâmes à l’intérieur. Sous quelques vêtements se trouvait une boîte plate en bois. Je me rappelai avoir vu un objet similaire chez Guy. L’ayant ouverte, j’eus malgré moi un mouvement de recul, le souffle coupé.
À l’intérieur du coffret, soigneusement rangés, se trouvaient des couteaux de différentes tailles, une hachette et même un petit fendoir. Des étuis renfermaient des crochets et des épingles, des pinces et des pincettes de diverses tailles. Le fendoir et plusieurs couteaux étaient tachés de sang et une odeur nauséabonde montait du coffret.
« Il s’agit des instruments chirurgicaux de Goddard.
— J’avais raison. Il s’agit bien de possession diabolique », conclut Harsnet en détournant le regard et en faisant une moue de dégoût.
Nous montâmes au premier. Il y avait deux chambres. L’une d’elles, dont on avait enlevé tout le mobilier, hormis un lit fatigué, avait dû être celle du père. Dans l’autre, celle de Cantrell, se trouvaient un vieux lit à roulettes, un autre coffre, éraflé et en mauvais état, ainsi qu’une table sur laquelle était posé un gros et lourd exemplaire de laBible en anglais. Le coffre contenait quelques pauvres vêtements que nous lui avions vu porter, ainsi qu’une table branlante et un tabouret.
Harsnet avait ouvert la bible. « Venez voir », fit-il. Je m’approchai et vis que le coroner avait ouvert le Nouveau Testament au livre de l’Apocalypse. Les larges marges étaient pleines de notes à l’encre rouge, rédigées d’une écriture si minuscule qu’elle était pratiquement illisible, bien que j’aie pu déchiffrer les mots « vengeance », « punition », « feu », tracés de façon appuyée et soulignés. Tournant les pages, je constatai que tous les passages traitant des conséquences du versement par les sept anges des coupes pleines de la fureur de Dieu étaient également soulignés : « un ulcère mauvais et pernicieux », « les fleuves et les sources des eaux, et il y eut du sang », « se mâchèrent la langue de douleur »…
« Quel blasphème ! » s’écria Harsnet d’une voix qui n’avait jamais tant tremblé, même devant les plus atroces spectacles dont
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