Prophétie
était si en colère après la réunion que j’ai cru qu’elle allait s’effondrer, mais elle a tenu le coup. Elle estassise à sa place habituelle près du feu… Elle espère que vous allez lui apporter des nouvelles fraîches.
— Merci, Margaret. Je vais aller la voir. » Ses joues rebondies étaient toutes pâles. La vie des serviteurs avait elle aussi était chamboulée, leur avenir devenait soudain incertain.
Dorothy était assise dans son fauteuil sous la frise. Elle leva les yeux et s’efforça de sourire, mais son visage blême était crispé de colère.
« Que s’est-il passé ? demanda-t-elle. Pourquoi es-tu parti avec le coroner ?
— Pour discuter de l’enquête. Il y en aura bien une, Dorothy, et je vais en faire partie, comme je te l’avais promis. Et le corps nous sera rendu demain. Tu peux organiser l’enterrement. »
Elle plongea son regard dans le mien. « S’ils savent qu’il a été assassiné, alors pourquoi cette mise en scène à l’audience ?
— Cela a trait à la politique. Je ne peux t’en dire davantage. Je le regrette vraiment. »
Elle écarquilla les yeux. « Grand Dieu ! Mais Roger n’avait rien à voir avec la politique. Il détestait tous les courtisans.
— Je le sais. Mais il doit exister un lien avec… une autre affaire. J’ai entrepris d’aider à le découvrir officieusement.
— Pour le compte de qui, Matthew ?
— Pour Cranmer. Et je t’en ai déjà dit plus que je n’aurais dû.
— Mais tu détestes la politique autant que Roger. Tu l’as souvent affirmé.
— Collaborer avec ces gens constitue la seule façon de m’assurer que le meurtrier de Roger sera découvert. Nous poursuivons le même but… Je vais travailler avec le coroner Harsnet.
— Avec cet homme… Tu as vu comment il a essayé d’influencer les débats.
— Il s’agissait de faire ajourner l’enquête, de la soustraire à l’opinion publique. Ce n’est pas pour le défendre, mais je ne crois pas qu’il était content de te tromper. »
Elle posa sur moi un regard las. « Et si je te libérais de ta promesse de retrouver l’assassin de Roger, Matthew ? Je sais que tu redoutes et détestes ces hommes puissants, comme doit le faire tout homme sensé.
— J’ai promis à Cranmer de collaborer, Dorothy. Désormais, la situation nous échappe, dis-je en souriant tristement.
— Je suis devenu un fardeau, affirma-t-elle d’une voix sans timbre. C’est le lot des femmes d’un certain âge. »
Je me penchai en avant et osai lui saisir la main. « Non, Dorothy. Tu es forte. Pour le moment, je sais que tu n’en peux plus, mais tu vas peu à peu retrouver ton énergie. Ce n’est qu’une question de temps.
— J’ai entendu dire qu’après la mort d’un être aimé on le sent proche de soi en esprit. Je suis restée assise là à attendre, à espérer, mais… rien ne s’est passé. Je ressens seulement la perte de Roger, qui m’a été arraché.
— Pour surmonter ton chagrin tu as besoin de temps, Dorothy.
— J’ai des années vides devant moi. » Elle jeta un coup d’œil à la pendule.
Sa souffrance me serrait le cœur. « Dorothy, repris-je d’une voix douce, il faut que je te pose une question. Ce n’est sûrement pas le moment idéal pour la poser mais c’est urgent. Nous avons besoin de savoir si Roger et… cet autre homme qui est mort… avaient un lien. Bartlett prépare une liste de ses relations professionnelles. Peux-tu établir une liste de toutes ses autres connaissances ? De tous ses amis qui n’étaient pas juristes…
— Nous n’en avions pas. Le droit était sa vie.
— Alors des commerçants. Son barbier, son tailleur. Vos serviteurs… En avez-vous renvoyés récemment ?
— Non. Personne.
— Quoi qu’il en soit, une liste peut s’avérer utile.
— Alors je vais la préparer tout de suite », dit-elle.
J’envoyai Margaret chercher du papier et Dorothy se mit à réfléchir et à inscrire les noms de toutes les personnes que Roger avait connues à Londres.
« La liste est complète », dit-elle en me la tendant.
Je la parcourus du regard. « Bien. Cela va nous aider.
— Si tu as besoin de moi pour quoi que ce soit, viens me voir quand tu veux. L’enterrement ne pourra avoir lieu que la semaine prochaine. Samuel arrivera de Bristol, j’ai reçu une lettre de lui. Et ensuite, viens dîner avec nous, Matthew. Nous nous souviendrons de Roger ensemble,
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