Quand un roi perd la France
voyage en
Angleterre.
Vous comprenez à présent,
Archambaud, pourquoi le Dauphin, qui s’était si fort opposé, vous l’avez vu, à l’arrestation
du roi de Navarre, le maintient si obstinément en prison, alors que, commandant
céans au royaume, il aurait tout loisir de le libérer, comme de maintes parts
on l’en presse. Aussi longtemps que le traité n’est signé que par Philippe de
Navarre, on peut le tenir pour nul. Dès lors qu’il serait ratifié par Charles,
ce serait une autre affaire.
À l’heure où nous sommes, le roi de
Navarre, parce que le fils du roi de France le tient prisonnier, en Picardie,
ne sait pas encore… il est sans doute le seul… qu’il a reconnu le roi
d’Angleterre pour roi de France, mais d’une reconnaissance sans vigueur
puisqu’il ne peut la signer.
Voilà qui ajoute au beau nœud
d’embrouilles, ou une chatte ne reconnaîtrait pas ses petits, que nous allons
tenter de défaire à Metz ! Je gage que dans quarante ans d’ici personne
n’y comprendra plus rien, sauf vous peut-être, ou votre fils, parce que vous
lui aurez raconté…
III
LE PAPE ET LE MONDE
Ne vous avais-je pas dit que nous
aurions des nouvelles, à Sens ? Et de bonnes nouvelles. Le Dauphin,
plantant là ses États généraux tout houleux où Marcel réclame la destitution du
Grand Conseil et où l’évêque Le Coq, en même temps qu’il plaide pour la
libération de Charles le Mauvais, s’oublie jusqu’à parler de déposer le roi Jean…
si, si, mon neveu, nous en sommes là ; il a fallu que le voisin de
l’évêque lui écrase le pied pour qu’il se reprenne et précise que ce n’étaient
point les États qui pouvaient déposer un roi, mais le pape, à la demande des
trois États… eh bien, le Dauphin, roulant son monde, s’en est parti hier lundi
pour Metz, lui aussi. Avec deux mille chevaux. Il a allégué que les messages
reçus de l’Empereur lui faisaient obligation de se rendre à sa diète, pour le
bien du royaume. Oui… et surtout mon message. Il m’a entendu. De la sorte, les
États sont dans le vide et vont se disperser sans avoir rien pu conclure. Si la
ville se montrait par trop turbulente, il pourrait y revenir avec ses troupes.
Il la tient sous menace…
Autre bonne nouvelle : le
Capocci ne vient pas à Metz. Il refuse de me retrouver. Bienheureux refus. Il
se met en tort vis-à-vis du Saint-Père, et moi je suis débarrassé de lui.
J’envoie l’archevêque de Sens escorter le Dauphin, qu’accompagne déjà
l’archevêque-chancelier, Pierre de La Forêt ; cela fait deux hommes sages
pour le conseiller. Pour ma part, j’ai douze prélats dans ma suite. Cela
suffit. C’est autant qu’aucun légat n’en eut jamais. Et pas de Capocci.
Vraiment, je ne peux comprendre pourquoi le Saint-Père s’est obstiné à me
l’adjoindre et s’obstine encore à ne pas le rappeler. D’abord, sans lui, je
serais parti plus tôt… Vraiment, ce fut un printemps perdu.
Dès que nous sûmes l’affaire de
Rouen et que nous reçûmes en Avignon les lettres du roi Jean et du roi Édouard,
et puis que nous apprîmes que le duc de Lancastre équipait une nouvelle
expédition, cependant que l’ost de France était convoqué pour le premier juin,
je devinai que tout allait tourner au pire. Je dis au Saint-Père qu’il fallait
envoyer un légat, ce dont il tomba d’accord. Il gémissait sur l’état de la
chrétienté. J’étais prêt à partir dans la semaine. Il en fallut trois pour
rédiger les instructions. Je lui disais : « Mais quelles
instructions, sanctissimus pater ? Il n’est que de recopier celles
que vous reçûtes de votre prédécesseur, le vénéré Clément VI, pour une
mission toute semblable, voici dix ans. Elles étaient fort bonnes. Mes
instructions, c’est d’agir en tout pour empêcher une reprise générale de la
guerre. » Peut-être au fond de lui, sans en avoir conscience, car il est
certes incapable d’une mauvaise pensée volontaire, ne souhaitait-il pas
tellement que je réussisse là où il avait échoué naguère, avant Crécy. Il
l’avouait du reste. « Je me suis fait rebuffer méchamment par
Édouard III, et je crains qu’il ne vous en advienne de même. C’est un
homme fort déterminé, Édouard III ; on ne le contourne pas aisément.
De plus, il croit que tous les cardinaux français ont parti pris contre lui. Je
vais envoyer avec vous notre venerabilis frater Capocci. » C’était
cela son idée.
Venerabilis
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