Qui étaient nos ancêtres ?
qui semble faire son entrée dans notre langue au début de la Restauration, lorsque les bourgeois commencent justement à se distinguer par leur bedaine. L’origine des gros bouffis est quasiment la même, avec l’ancien verbe bouffer désignant le fait de gonfler les joues pour souffler, au point que c’était le terme employé pour désigner le gros soufflet de forge. Qui mangeait gloutonnement, gonflant les joues, fut donc bientôt celui qui bouffait.
Du pouf au pif, il n’y a qu’un pas. Il passe par le vieux verbe piffrer, ancêtre de « s’empiffrer », d’où le mot piffard désignant l’homme ventru. L’expression « manger comme un piffre », c’est-à-dire le nez dans son assiette, fera sans doute finalement du nez notre pif De là est venu « ne pas pouvoir piffrer quelqu’un », qui n’est que l’adaption du « ne pas pouvoir blairer », déjà tiré quant à lui de la référence au museau allongé du blaireau. Les références aux animaux sont d’ailleurs fréquentes, même si rabougri ne doit rien au rat en ce qu’il provient d’un ancien adjectif bougre, signifiant « chétif » , qui n’avait rien à voir non plus avec le boulgre, venu de notre Bulgare, de si abominable réputation (cf p. 315).
Au contraire, l’homme modeste, constamment occupé par un travail physique éprouvant et mal ou parcimonieusement nourri, est maigre. Maigre et courbé, par la force de l’habitude, penché qu’il est sur son établi, la charrue ou la terre. C’est ici que le personnage de Giton offre un contraste saisissant avec les paysans qu’a décrits le même La Bruyère, « noirs, livides et tout brûlés de soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent ». Et les progrès de la médecine et de l’hygiène ne sauront guère les relever de façon réelle avant le XX e siècle. Jusqu’à une époque récente, la silhouette et l’allure générale de nos ancêtres ne sont donc guère enviables.
Solognots ou Biafrais ? Quand le kwashiorkor
africain semblait sévir en France
Rares sont les témoins qui ont pris la peine de décrire le peuple. De décrire d’ailleurs qui que ce soit. Dans ses Mémoires, Louis Simon ne décrit personne. Nicolas Rétif, lorsqu’il raconte, en 1779, la vie de son père, ne décrit pas davantage ce père, le personnage principal de son livre, qu’il ne décrit ses grands-parents, sa mère ou ses frères et sœurs. L’idée ne semble pas même lui en venir… Pourquoi ? Parce que l’homme est à l’image de Dieu, et que le décrire est tabou ? Non, sans doute, mais lorsqu’il vante les mérite du vieux maître d’école de son village et s’apprête à en faire le portrait, Rétif choisit de ne « peindre le vénérable maître que par ses actions ». N’est-ce pas par elles que l’homme se rapproche de Dieu ? La seule description physique de son récit concernera un personnage secondaire, le premier garçon de charrue de la ferme paternelle, Germain, dont il nous dit qu’« il avait l’air véritablement tudesque : c’était un gros homme, dont la face, sans être grasse, était haute et large d’un demi-pied ; il avait une force incroyable, et malgré cela on voyait répandue sur sa physionomie une certaine bonté qui rassurait ».
Voilà certes un homme de basse condition, mais qui – manque de chance – semble faire exception à la règle… Germain est loin, en tous les cas, de ressembler aux habitants de Sennely-en-Sologne que le prieur du lieu, Christophe Sauvageon, décrit ainsi au début du XVII e siècle : « Un chétif peuple (…). De basse stature, tout courbés, ventrus, jaunes et safranés, infirmes et de petite complexion, ne vieillissant point (…), sujets aux ulcères aux jambes, n’ayant ni poitrine ni poumon (…). Ils n’ont pas plutôt atteint l’âge de dix ou douze ans qu’ils deviennent bruns et plombés, ont tous de grandes et larges dents claires et mal rangées, qui leur font souvent mal et leur tombent, tant aux hommes qu’aux femmes, avant la vieillesse. Leur taille est courte et courbée, leur voix frêle et mal propre au chant. » Un physique pitoyable, qui va se maintenir, puisque confirmé par deux témoignages postérieurs : un premier, en 1776, à l’époque même où Rétif rédige ses écrits, insiste sur « une figure pâle et jaunâtre, une voix faible, des yeux languissants, un gros ventre, une taille au-dessous de cinq pieds, une démarche lente ».
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