Qui étaient nos ancêtres ?
évidemment, ne peuvent travailler que dans leur studio, équipé d’appareils et de décors sophistiqués, destinés notamment à dissimuler sous d’amples drapés les curieux instruments. Des instruments assez proches du carcan, que l’on a longtemps dû utiliser pour immobiliser les corps et les visages de nos arrière-grands-parents pendant les temps de pose, qui durent encore plusieurs minutes, et qui leur donnent ces allures figées et hiératiques, les suggérant généralement plus sinistres qu’ils ne l’étaient sans doute. Ce ne sera qu’avec l’apparition de la photographie au format « carte de visite », vers 1860, que la technique se répandra, bien que longtemps réservée, de fait, aux citadins, jusqu’à ce que le perfectionnement et la réduction des appareils avec des temps de pose réduits permettent aux professionnels de sillonner les campagnes. Dès le début du XX e siècle ils iront y proposer les traditionnelles photographies de mariage, montrant les invités superposés sur des chaises et des bancs, devant portes de grange ou devantures d’auberge… L’âge d’or de la photographie a commencé, et l’on voit bientôt se répandre chez les employés et les ouvriers ces beaux albums de cuir à fermoirs de cuivre ou d’argent, dans lesquels on rassemble aussi bien les portraits des membres de la famille, portraits devenus objets d’échanges, que souvent ceux des « stars » de l’époque : le duc de Morny ou le général Boulanger, Sarah Bernhardt ou Mgr Dupanloup. Si l’une de ces personnes figure dans votre album de famille, n’allez donc pas en conclure qu’elle est de votre parenté ; c’est seulement que votre arrière-grand-mère comptait parmi ses fans.
Mais le plus important n’est-il pas en fait de savoir comment était cette arrière-grand-mère elle-même ?
En réalité, pour elle comme pour tous nos ancêtres les plus récents, cela ne pose guère de problème. Leurs photographies nous les montrent, gros ou maigres, grands ou petits, évidemment très disparates, mais somme toute, au vêtement près, assez proches de nous.
Les difficultés commencent lorsqu’on veut passer à leurs propres arrière-grands-parents, ces ancêtres majoritairement ruraux, « petits et sans grades », qui n’ont évidemment laissé d’eux aucun portrait ni aucune image. Qui n’ont d’ailleurs sans doute jamais vu la leur propre. Les miroirs, dans leur monde, sont, comme on l’a noté, un luxe rarissime. Il y a bien le reflet dans l’eau des sources et des lavoirs, qui ne donne de leur visage qu’une image imprécise. Et sans doute, d’ailleurs, en est-il mieux ainsi.
Grands ou petits ? Des variations régionales et sociales
Rares sont les documents qui nous renseignent sur le physique de nos ancêtres, du moins avant que ne soit instauré le service militaire, dont les archives ne concerneront évidemment que les hommes…
Le conseil de révision les fait en effet régulièrement passer sous la toise, une formalité des plus importantes puisqu’une taille minimum a été fixée pour les garçons destinés à porter les armes. En 1701, une ordonnance de Louis XIV l’avait arrêtée à cinq pieds et deux pouces (soit 1,67 m) pour un fantassin et cinq pieds et quatre pouces (1,73 m) pour un cavalier. Mais la taille du fantassin avait été abaissée à 1,59 m en 1799, pour les besoins de la défense nationale, époque où le futur capitaine Coignet, sur les conseils du général Davout, n’avait pas hésité à glisser un jeu de cartes dans ses bas afin de mieux tromper. La Restauration la portera à 1,57 m en 1818 et même à 1,54 m en 1830. C’est l’époque où les recrues, qui doivent désormais se présenter en tenue d’Adam, pour mieux éviter les tricheries à la Coignet, sont souvent mesurées couchées à terre, posture que le ministre de la Guerre déclare « inconvenante et non propice à la rigueur de la mesure ». On imposera alors la toise debout, et la taille minima ne cessera de remonter.
Ces formalités obligatoires pour tout homme de vingt ans ont fourni aux historiens un matériau de choix pour étudier aussi bien le degré d’instruction que le physique de nos grands-pères, leur permettant ainsi de formuler différents constats.
La même ligne Saint-Malo/Genève, que l’on a vu séparer les deux France plus ou moins alphabétisées de l’Ancien Régime, se retrouve à peu près, au XIX e , pour séparer celle des grands,
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