Qui étaient nos ancêtres ?
tribunal seigneurial. De même, ils ont tout fait pour lui allier le peuple en faisant soutenir par le trône (et bien sûr encourager, sinon susciter de façon occulte) les tentatives de soulèvement des manants désireux d’échapper à la férule seigneuriale. Dès lors que les habitants d’une agglomération se réunissaient et se juraient solidarité dans leur lutte, en faisant ce que l’on appelait « commune jurée », le roi, en tant que suzerain suprême de leur seigneur, pouvait les soutenir et leur accorder des libertés et des franchises, notamment au sein des « villes neuves » et « bourgs neufs » que ce mouvement ne manquait pas d’engendrer.
Le roi s’acquit ainsi rapidement le dévouement des milieux urbains, et contribua largement à l’érosion des revenus des seigneurs que l’on a signalée et qui affaiblit leur pouvoir. Mais pour achever l’édifice, il faudra attendre une politique de « communication » plus affinée encore, avec, dès la Renaissance, la multiplication des Te Deum. Non seulement le curé a le devoir de publier le dimanche, lors de son prône, les dernières dispositions de lois royales de plus en plus nombreuses, mais il doit organiser, à tout moment, des cérémonies d’actions de grâce, notamment à l’occasion des événements concernant la famille royale, dont nos ancêtres commencent à connaître l’existence et la composition. Ils apprennent ainsi peu à peu les noms des principaux personnages de la cour : dauphins et princes du sang… Ce seront à la fois ces Te Deum , que toutes les paroisses de France célébreront, comme en mars 1775, pour demander à Dieu la guérison de Louis XV malade, et l’augmentation de la pression fiscale qui commenceront à donner une certaine consistance à la notion, encore très floue, de patrie.
Recordmen de marche à pied :
allées-venues et expéditions
Si nos ancêtres vont peu en ville, la ville vient volontiers à eux. Quantité de bourgeois arpentent à tout moment les routes, ou plutôt les sentiers, « désenclavant » les campagnes. C’est le notaire qui va recevoir un acte, le drapier à la recherche de la toile tissée par les paysans, le tanneur qui leur achète des peaux ; ce sont les propriétaires venant inspecter leurs domaines et percevoir leurs redevances, les tailleurs d’habits, les taillandiers ou plus tard les épiciers ambulants proposant leurs marchandises et prenant les commandes… Toute une frange de la population des cités bat continuellement et en tous sens la campagne environnante. Nos ancêtres – c’est là un de leurs principaux traits – sont de grands marcheurs.
À la fin du XVIII e siècle, un curé bourguignon, l’abbé Courtépée, érudit, féru d’histoire et ami des arts, entreprendra de visiter sa province pour en dresser un véritable inventaire touristique, la sillonnant à cheval des années durant, allant de paroisse en paroisse, d’un presbytère à un autre, où il savait trouver le gîte et le couvert.
L’étude du journal de notre sire de Gouberville, vivant au XVI e siècle aux environs de Cherbourg, nous le montre effectuant, uniquement pour se rendre en ville, plus de 26 000 kilomètres en dix ans, soit 520 heures de marche par an. Des heures pénibles, du fait que les chemins sont alors défoncés et le resteront longtemps. Deux siècles après, un peu plus au sud, l’évêque de Blois, pour aller donner le sacrement de confirmation aux paroissiens de Lancôme, se déplace avec un carrosse à quatre chevaux, avec trois garçons et un de ses grands vicaires. Lorsque, après la cérémonie, il veut aller visiter l’église de la paroisse voisine, « il a cassé ou rompu son carrosse et doit aller à pied à Marquoy pour dîner ».
Les routes sont d’autant plus longues que l’on tire rarement en ligne droite, autant pour contourner les reliefs, pour joindre les gués et les ponts qui restent rares, que parce que les itinéraires ne peuvent traverser les propriétés privées, souvent immenses et d’un seul tenant. Il faut parfois près de six heures à notre sire de Gouberville pour faire seize kilomètres (soit 2,5 km/h), sans oublier qu’à la mauvaise saison, ces déplacements ont lieu pour une large partie de nuit, le voyageur arrivant souvent à destination « à jour failli », autrement dit de nuit.
Cela sans parler des caprices de la météorologie et des saisons : en 1724, dans l’Oise, le mauvais temps oblige le
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