Qui étaient nos ancêtres ?
curé à célébrer le mariage d’un couple de « cousins » sans être en possession de la dispense de parenté, qu’il a pourtant bien demandée à son évêque, mais que le mauvais temps l’a empêché d’aller chercher à Beauvais.
Mais la pluie, le vent, la neige, ne sauraient en principe les arrêter. Toute la journée, Gouberville va et vient au sein même de ses terres et de son village, sans perdre son clocher de vue, si bien que, si l’on ajoute ces déplacements à ceux déjà comptabilisés vers l’extérieur, on arrive à une moyenne de trois heures de marche par jour. Un régime qui restera jusqu’à une époque récente l’ordinaire de nos ancêtres. Au début du XIX e siècle, combien de paysans se rendent encore régulièrement à pied au chef-lieu de canton, et combien de petits campagnards, dans les régions d’habitat dispersé, effectuent deux fois par jour, en sabots, les cinq ou six kilomètres séparant parfois leur hameau de l’école communale ?
Querelles de clochers
Notre expression « querelle de clocher », toute teintée de pittoresque, puise directement sa source dans le monde d’autrefois, où la cloche remplissait des fonctions multiples : non contente d’appeler les paroissiens à la messe, elle jouait aussi le rôle de sirène d’alarme, en sonnant le tocsin en cas d’incendie et de danger. Elle convoquait les habitants lorsqu’on avait à les réunir, notamment les jours d’élection des maires ou des syndics. Elle proclamait aussi l’état civil, avec des sonneries particulières pour les baptêmes et décès – sonneries que chacun savait reconnaître et interpréter, le glas égrenant ainsi autant de coups que le défunt avait vécu d’années.
Les cloches étaient souvent considérées comme douées de pouvoirs magiques, notamment par temps d’orage, où on les actionnait pour éloigner la foudre ou la grêle, certaines étant réputées plus efficaces que d’autres… Il en résultait d’ailleurs nombre d’enlèvements de cloche, au terme d’équipées nocturnes, soit pour voler celle, plus performante, de la paroisse voisine, soit pour l’empêcher, en éloignant l’orage de grêle, d’envoyer ses nuages crever au-dessus de son ciel.
Les municipalités, mises en place par la Révolution, eurent rapidement besoin, elles aussi, d’utiliser la cloche en diverses occasions, et pour peu que le maire et le curé aient été ennemis, la chose tournait facilement au drame… Le curé cachait la clé du clocher ou s’appropriait la corde, et le sacristain, sonneur clérical, en venait parfois aux mains avec le fossoyeur ou le garde champêtre, sonneur municipal. Ces querelles pouvaient aboutir à de scandaleux enterrements « à la muette », autrement dit non accompagnés de sonneries, ou au contraire à de provocantes volées de carillons.
Innombrables sont les procès qui, au XIX e siècle, ont émaillé l’histoire de nos villages. Ainsi, en 1869, le maire de Colombey-les-Deux-Églises avait fait prendre la clé du clocher au presbytère et refusait de la rendre, obligeant à remonter jusqu’à l’évêque et au préfet, qui craignaient toujours que les choses s’enveniment. Quelques années plus tôt, dans une autre commune de Haute-Marne, une affaire du même genre était allée jusqu’au ministre, et la brigade de gendarmerie, intervenant sur les lieux, s’était affrontée à une véritable émeute. Près de deux années durant, la guerre avait ici fait rage pour savoir laquelle des deux portes donnant accès au clocher le sonneur municipal avait le droit d’emprunter…
Mais Gilles de Gouberville était un privilégié. La plupart de ses voyages, il les effectue à cheval, du moins lorsque l’état des routes ne l’oblige pas à mettre pied à terre. Son domestique, en revanche, marche à ses côtés, avec pour principale charge de soigner la monture de son maître. Les milliers de kilomètres qu’effectue le sire à cheval, le laquais les fait donc sur ses jambes, et si notre notaire ou notre tailleur d’habits sont souvent sur leur bidet ou sur leur mule, des milliers d’autres, plus modestes, ne se déplacent évidemment qu’à pied.
La plupart d’entre eux, comme notre gentilhomme normand, ne dépassent, redisons-le, presque jamais les destinations locales. Au XVIII e siècle, le marchand-fermier Pierre Bordier, s’il effectue sans cesse les quelque dix à douze kilomètres séparant sa ferme de Vendôme,
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