Qui étaient nos ancêtres ?
Paris à pied, se hâtant de faire, au pas de course, en quatre jours, les quelque 250 à 300 km séparant leur hameau creusois d’Orléans (là encore avec des étapes de 60 à 70 km), pour s’y entasser dans une « mauvaise patache bringueballante » qui les conduira plus rapidement à Paris, ou ils entendent décrocher, avant les autres, les meilleures places sur les chantiers. Voyage éprouvant, que Martin Nadaud, en 1830, accomplit à l’âge de quatorze ans, et comme en font régulièrement, de leur côté – et parfois pieds nus ! –, des gamins de Savoie d’à peine sept à huit ans. Leurs parents les ont confiés à des maîtres ramoneurs et ceux-là les emmènent au même train d’enfer à Paris, où ils les feront monter et descendre, tout l’été durant, dans les noirs conduits des cheminées à ramoner.
Hommes ou femmes, civils ou militaires, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, ils sont légion à s’en aller par monts et par vaux, seuls ou en bandes. Le plus souvent pauvrement vêtus, le baluchon à l’épaule, tous ces gens à la recherche d’une vie meilleure croisent sans cesse ceux qui ne l’ont pas trouvée et qui errent désormais par les routes. Ils croisent ces chemineaux sans feu ni lieu, dont on se défie, comme aussi des équipages de seigneurs se déplaçant en grand arroi : nobles se rendant à la cour, généraux rejoignant leur régiment, évêques allant visiter leur évêché… Au milieu d’une immense majorité de sédentaires ne quittant jamais leur village, une minorité grouille continuellement sur les routes, constituant les légions de ceux que l’on surnomme les « pieds poudreux ».
Haro sur l’étranger ; bravo au colporteur !
Ces inconnus, qui ne parlent évidemment jamais la même langue que les indigènes des régions qu’ils traversent, qui ne partagent strictement rien avec eux, pas même la sensation d’être compatriotes et d’être gouvernés par le même monarque, inspirent aux villageois la plus grande défiance. « À l’oie ! Aux dindes ! » hurlent depuis leur seuil les Berrichons ou les Solognots voyant passer les « compagnies » de maçons creusois en route pour la capitale. Ne dépassant quasiment jamais les limites de leur village, nos ancêtres se méfient de tout et de tout le monde.
Depuis les temps féodaux – et même bien avant –, l’étranger commence de l’autre côté du fleuve ou de la foret… Pour des raisons de sécurité, le migrant, jamais à l’abri d’une mauvaise rencontre au coin d’un bois ou à la croisée d’une route, ne chemine jamais seul. Se déplaçant en groupe, il rassurera davantage les villageois, que les individus isolés, apparemment marginalisés, inquiètent encore davantage.
De tous ces voyageurs, c’est le pèlerin qui dérange le moins. Et pourtant, si lui aussi accomplit depuis le Moyen Âge des centaines de kilomètres à pied pour se rendre à Rome ou à Saint-Jacques-de-Compostelle, tout à l’ouest de l’Espagne, dans l’espoir de s’assurer un strapontin au paradis, qui voyage sous son habit peut parfois réserver de mauvaises surprises…
Nos ancêtres avaient leur Paris-Dakar !
Dans notre Moyen Âge, si empreint de foi et de ferveur chrétiennes, les plus longues distances étaient celles que l’on parcourait pour le salut de son âme. C’était là le seul motif qui pût convaincre nos ancêtres de quitter leur univers familier pour traverser les monts et parfois les mers et accomplir de véritables exploits, dignes de notre Paris-Dakar.
Plusieurs générations de croisés n’avaient pas hésité à faire près de sept mille kilomètres à travers l’Europe et l’Asie Mineure, tout enferraillés dans leurs armures, suivis de la « piétaille », immense armée de manants qui les accompagnait à pied.
D’autres scrutaient la nuit, à la recherche de la Voie lactée, que l’on nommait alors le « Chemin de Saint-Jacques ». C’était elle, en effet, que suivaient, en direction du couchant, les milliers de fidèles s’en allant en Espagne prier « Monsieur saint Jacques », un des douze apôtres du Christ, dont les reliques avaient été miraculeusement transportées à Compostelle. Et c’était, là aussi, toute une aventure…
Des jours durant, ils « pérégrinaient » le long des routes (d’où leur nom de peregrins , qui évoluera en pèlerin), cheminant de compagnie sur un des itinéraires parfaitement balisés aussi bien
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