Qui étaient nos ancêtres ?
« pas » et « point ». Les Parisiens du Moyen Âge parlaient un français dans lequel la négation « ne » n’avait nul besoin de notre « pas », faisant dire alors seulement « je ne mange » ou « je ne vois ». Ils avaient cependant tendance à la renforcer par des expressions comme « je ne bois goutte », « je ne mouds grain » , « je ne mange mie (ou miette : « ma mie » signifiait « ma petite ») . On disait donc « je ne couds point », autrement dit « pas un point », et « je ne marche pas », signifiant « je ne fais pas un pas ». La plupart de ces expressions finirent par être employées à tout propos, faisant ainsi dire « je ne vois goutte », avant que « point » et « pas » ne l’emportent, pour que « pas » finalement triomphe seul et, ironie du sort, en arrive aujourd’hui à éliminer « ne » dans la langue commune, avec des « je vois pas », « je sais pas » et bien sûr… « ça marche pas » !
Vivant dans ces étroites limites administratives et économiques, et tout occupés à des luttes d’intérêt locales, comment nos ancêtres pourraient-ils connaître et suivre la guerre de Cent Ans, sinon en en supportant les inconvénients ? Ils ne voient en fait que déferler sur eux « les fléaux de Dieu », ce cortège funeste qu’apporte chaque guerre, avec la famine, les épidémies (la peste), et les violences – exactions en tout genre, pillages, viols, et autres horreurs auxquelles se livrent les soldats, souvent mercenaires, obligés de vivre sur le terrain durant les périodes de trêves. En un temps où la conscription n’existe pas, nos ancêtres ne font pas la guerre, ils la subissent.
Sur ce plan-là aussi, les choses seront très lentes à changer. Nos ancêtres, des siècles durant, ne sauraient avoir la moindre conscience nationale ni patriotique. D’abord, ils ignorent le roi. Ce « seigneur des seigneurs », placé tout au sommet de la hiérarchie féodale, est une réalité qui leur échappe presque totalement. Lorsqu’ils en entendent parler, nos ancêtres manants ne pensent nullement au Capétien trônant à Paris. Même ci ce Louis ou ce Philippe, numéroté VI ou VII, traverse parfois ses domaines pour aller faire la guerre ou partir en croisade, il n’a aucune place dans leur monde. Lorsqu’ils parlent du roi, nos ancêtres de ces époques évoquent leur voisin qui a été sacré « roi » du dernier jeu d’adresse organisé par leur seigneur un dimanche de printemps.
Et puisqu’ils ignorent le roi, c’est donc le roi qui ira à eux. Peu à peu, le monarque capétien va s’entourer de légistes et de juristes qui, à chaque occasion, savent lui fabriquer quelque bon slogan – on disait alors un adage – lui permettant d’affirmer son pouvoir. À l’empereur d’Allemagne, qui prétend être son supérieur hiérarchique et s’immiscer à ce titre dans les affaires françaises, ils lui feront répondre que « le roi de France est empereur en son royaume ». En 1328, à la mort sans héritier immédiat du dernier Capétien direct et alors qu’aucun texte ne prévoit cette situation, pour éviter que la couronne ne tombe entre les mains de l’Angleterre dont le souverain se trouve être l’époux de la sœur de leur roi défunt, ces juristes fouilleront les archives anciennes. Ils y retrouveront un texte qui aurait, selon eux, régi la succession des anciens rois des Francs saliens, tribu dont était justement issu Clovis, considéré comme le fondateur de la monarchie française. De ce texte qui affirmait que « Femme ne saurait servir de pont et planche » – autrement dit que la couronne ne pouvait passer par une femme – ils feront la fameuse « loi salique », qui revêtira un caractère quasi sacré, alors qu’elle avait été pratiquement improvisée…
Ces hommes travailleront à donner au roi une légitimation et une reconnaissance populaires. Pour lui permettre de mieux triompher des seigneurs arrogants qui, des siècles durant, n’ont eu d’autre objectif que de s’approprier les biens qu’ils sont censés tenir de lui et de toujours rogner davantage la parcelle de pouvoir qui lui est restée, nos juristes se sont attachés à redonner au souverain une place réelle dans l’organisation politique. Ils n’ont perdu aucune occasion de lui faire jouer le rôle de juge suprême, celui auprès duquel on peut faire appel de la sentence rendue par un
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