Qui étaient nos ancêtres ?
fêtes et leurs cérémonies. Au sein de ces groupes socio-professionnels, chacun a une place bien à soi. Chez les artisans il est apprenti, maître ou compagnon ; à la campagne il est manouvrier, journalier, laboureur à demi-charrue, fermier-laboureur ; dans un parlement, il est président à mortier (toque de velours à galon d’or), président tout court ou chancelier…
Et cette place lui vaut généralement de porter des vêtements ou des insignes visibles. C’est l’aumusse que portent sur leur bras les chanoines et les chantres, le blason du noble sur son armure et sur le manteau de son cheval, l’hermine des avocats, la verge du bedeau, le chapeau du médecin ou le bonnet du magistrat, la robe longue ou courte des différents robins, la fleur de lys imprimée au fer sur l’épaule du galérien… Autant de signes extérieurs qui ne vont cesser de se multiplier, par exemple avec l’uniforme chamarré du maître de postes, et auxquels le régime républicain ajoutera les siens. Les premiers maires et adjoints des grandes villes ne devront-ils pas porter un habit bleu, avec liseret de trois rangs brodé d’argent pour les premiers, et de deux rangs pour les seconds ? Le garde champêtre arborera de même sa plaque de cuivre, comme l’ancêtre de notre préposé portera celle de « facteur rural ».
Au XIX e siècle, l’activité du citadin se devine au premier coup d’œil, selon qu’il porte la robe de l’avocat, la soutane du curé, le pantalon du boucher, le bonnet du pâtissier… La veuve porte le deuil de son mari comme le maître d’hôtel ou le cocher portent la livrée de leur maître. À tous les niveaux, la position d’un homme dans la société doit être claire et identifiable, et qui voudrait s’y soustraire se rendrait aussi suspect que l’avaient été nos « coquins » du Moyen Âge.
À cette appartenance socio-professionnelle s’ajoute celle à un milieu spatial. On a vu comment, au Moyen Âge, les liens d’homme à homme avaient prévalu : tout homme était lié à un autre, depuis le vassal – homme-lige du suzerain, auquel il avait prêté serment lors d’une cérémonie officielle – jusqu’au serf, appartenant quasiment à son seigneur, au point qu’on le désigne comme « l’homme-le-comte », « l’homme-le-duc » ou « l’homme-l’évêque ». Peu à peu, cependant, l’individu a été de plus en plus désigné en fonction de son origine géographique : si, longtemps, l’on n’avait pas eu conscience d’être français et à peine plus celle d’être lorrain, normand ou auvergnat, on était l’homme d’une seigneurie et d’une paroisse. Nos noms de famille en témoignent, avec quantité de Normand, Derouen, Lyonnais, Darras, ou beaucoup d’autres se référant au village d’où l’on était originaire, comme Demoreuil ou Moreuil, Dambreville, Demailly… Le nom d’un village ou d’une paroisse était la base de l’identité. Le nouveau venu l’oubliait rarement lorsqu’il se présentait.
Les cadres de la seigneurie et de la paroisse étaient pesants (on se souvient des difficultés à aller se marier en dehors de l’une ou de l’autre) ; celui de la commune, imbriquée dans une carte administrative la reliant elle-même à un chef-lieu de canton, à une sous-préfecture et à une préfecture, le sera tout autant. Cette appartenance géographique est encore plus ressentie lorsque, depuis la nuit des temps, des villes ou des paroisses sont en rivalité. Il n’est qu’à penser aux disputes pour les cloches ou aux luttes des gars de Longeverne contre ceux de Velrans, immortalisées par Louis Pergaud dans La Guerre des boutons. Ces tensions, qui se sont parfois réglées lors de parties de soule , l’ancêtre de notre football, où les supporters pouvaient envahir le pré et s’étriper à cœur joie, ont été aussi à l’origine des batailles de conscrits. Lorsqu’au printemps ceux-ci, courant les routes à la recherche de verres de vin et de filles, rencontrent, à une croisée de chemins, ceux du village voisin, les deux groupes, généralement en état d’ébriété avancée, en arrivent vite aux poings, après s’être envoyé à la figure des injures séculaires. Les habitants de chaque commune se voyaient en effet presque toujours nantis par ceux des villages voisins de surnoms désobligeants. En Lorraine, les habitants de Mazerolles étaient ainsi surnommés les « soies de porc », ceux de
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