Qui étaient nos ancêtres ?
au Tonkin, le Venaissin Jean Antoine Roullet, après avoir travaillé dans des sablières suisses, près de Genève, a pris part à l’expédition de Madagascar. Partir, désormais, ne fait plus peur.
En un siècle, les campagnes vont être littéralement saignées à blanc, se vidant d’une population qui, contrairement aux générations précédentes, conserva de plus en plus souvent les liens avec le pays natal. Le fils parti pour Paris ou Marseille sait écrire et donne de ses nouvelles. La fin du XIX e et le début du XX e siècle verront l’âge d’or de la carte postale. Le couple auvergnat ou l’Aveyronnais devenu bougnat ou limonadier dans la capitale en enverra à sa famille entre ses retours réguliers au pays. Tous apporteront rapidement aux parents et aux cousins rustiques les échos et les articles de la ville, qui cessera dès lors de faire peur pour faire rêver, pour attirer et devenir le modèle, la source des modes et des idées. Quitte à ce que, après avoir quitté un à un leur montagne pour gagner les H.L.M., comme l’a chanté Ferrat, les hommes n’aient d’autre objectif que de repartir pour la campagne, en soixante-huitard sur les plateaux du Larzac, en Parisien gagnant chaque week-end dans son énorme 4 × 4 la fermette qu’il a retapée en Sologne, ou en simple nouvel habitant d’une cité pavillonnaire où l’on entend encore chanter les oiseaux. Séparées de quelques minutes par le train ou la voiture, la ville et la campagne sont désormais les composantes d’un seul et même monde. Au plan des mentalités, peu de différences les séparent, si ce n’est, dans les grandes villes, un profond anonymat qui vous rend parfaitement étranger à votre voisin de palier – sensation parfaitement inconcevable pour nos ancêtres, tout comme l’était, quasiment, celle de la solitude.
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Vie publique ou vie privée ?
Nos ancêtres, comme les trains, en cachent toujours d’autres. Jamais un homme ni une femme ne vit ni n’évolue seul. À l’extérieur, au travail, dans les champs comme dans les échoppes d’artisans, nos aïeux travaillent à plusieurs. Sur les routes, pour des raisons de sécurité, nos migrants, comme les pèlerins ou les marchands du Moyen Âge, préfèrent se déplacer par groupes : compagnies , brigades ou soques. Chez eux, ils ne se retrouvent jamais seuls. Malheur à l’homme seul, qui se singularise en sortant des normes et inspire immédiatement la défiance. L’individu existe moins par lui-même qu’en tant que membre d’une société ou d’une communauté où il a sa place. Le célibataire n’existe pas ; la solitude non plus ! Mais qu’en est-il de l’intimité ?
Jamais seul, avec ou sans « l’ami Bidasse » !
L’homme ne vit jamais seul, mais à travers un et même plusieurs groupes. Il en va ainsi depuis les temps les plus reculés : le travail de la terre, les défrichements, la construction des châteaux forts, rien de tout cela n’a pu être mené par des individus isolés. S’ajoutant à ces nécessités techniques, l’hostilité de la nature et l’insécurité ambiante ont poussé les hommes à éviter l’isolement. Même en pays d’habitat dispersé, là où les points d’eau sont assez nombreux pour permettre aux exploitants de vivre au centre même de leurs exploitations sans se voir obligés de se regrouper au sein de villages, il est inconcevable de vivre à l’écart du groupe – attitude générale qui a donné toute leur mesure au choix et au mode de vie des ermites…
Qu’il soit serf ou manant, bourgeois ou chanoine, l’homme vit au sein d’un groupe. Le seigneur, par exemple, est ainsi entouré en permanence en plus de sa maisnie , autrement dit du groupe qui « demeurait avec lui » (sa femme et ses enfants, ses valets et ses hommes d’armes), de fils de seigneurs voisins qu’il reçoit en quelque sorte en apprentissage et auxquels s’ajoutaient fréquemment un jongleur ou un troubadour de passage ou des pèlerins ayant demandé l’hospitalité. Un code du savoir-vivre chevaleresque anglais du XIII e siècle ne déclarait-il « mal séant » qu’un seigneur mangeât seul ? Il en ira plus tard de même pour le roi à la cour.
Tout individu, ne l’oublions pas, appartient à l’un des trois ordres (clergé, noblesse ou tiers état) et au sein de cet ordre, à une classe ou catégorie particulière, à un métier, parfois à une corporation, qui ont leurs traditions, leurs
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